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Plotin : Source de l'être et conversion du regard

Tous les traités de Plotin nous exhortent à la conversion de l’âme. En effet, aucune âme n’est tout à fait plongée dans les préoccupations du monde et du corps. Retirons-nous dans le silence intérieur: notre âme palpite d’une autre vie, qui a toujours été là. Nous vivons constamment, même inconsciemment, d’une autre vie que celle du corps.

1. En deçà et au-delà de la conscience

A. La purification spirituelle: âme et corps

L’hétérogénéité des deux vies humaines, celle de l’âme, celle du corps, pose problème: comment l’âme, qui est d’ailleurs, peut-elle se trouver dans le corps? Le corps, répond Plotin, est support de l’âme. Le corps est une belle lyre, et l’âme la voix que cette lyre accompagne. L’essentiel, pourtant, c’est le chant.

Le corps nous distrait de la vie supérieure de l’esprit, où l’âme tend naturellement. Ce qui est mauvais, ce n’est pas d’avoir un corps, mais de s’en soucier plus que de la vie de l’âme.

Il s’agit donc de ne prêter au corps que l’attention qui revient à une beauté subordonnée à une beauté supérieure. Les passions, troublant l’âme, ne doivent pas être réprimées, mais satisfaites sans s’en soucier plus que d’une purge; il faut satisfaire le corps dans la mesure où il trouble moins la vie de l’esprit.

B. Les paradoxes de la conscience

«Sculpte ta propre statue»: c’est ce à quoi nous exhorte Plotin. Notre âme, c’est nous qui la faisons telle qu’elle est: elle est donc comme une sculpture qui se sculpterait d’elle-même. L’âme est la pure activité qui s’exerce sur elle-même.

Tout ce qui est dans l’âme n’est pas pour autant conscient. Cette activité nous échappe le plus souvent à nous-mêmes, perdus dans l’attention aux choses extérieures, de même que celui qui lit ne prête pas attention au fait qu’il lise, mais seulement à ce qu’il lit. L’activité spirituelle permanente de l’âme, c’est la vie même dont elle vit, aussi inconsciente que la vie interne du corps.

D’autre part, la conscience de l’activité affaiblit l’activité même: c’est qu’en la fixant comme objet de l’attention, elle l’immobilise, comme le lecteur qui prend garde à sa lecture s’arrête alors de lire. La conscience trouble l’activité, alors qu’elle est l’expression de cette activité.

Un corps est un ensemble de matière unifiée; à son tour, le corps est unifié parce qu’il possède une âme (pour Plotin, même les pierres en ont une). Ce qui unifie toutes les pensées éparses de l’âme (sensations, idées, souvenirs divers par exemple), c’est l’activité de son intelligence. L’activité de l’intelligence a donc pour modèle l’unité pure: «l’Un». La réalité comporte des degrés continus dont chacun est l’unité du précédent, depuis la matière jusqu’à l’esprit et, au-delà, l’Un.

2. La passion du monde

A. L’amour du Bien

L’unité du tout existe par sa continuité, mais aussi par sa destination. Tous les êtres tendent à leur bien propre: c’est le désir fondamental de tout existant. Il est un bien unique, que tous les êtres désirent, qui est absolument désirable, et non pas seulement relativement à tel ou tel aspect pour telle ou telle personne: le Bien est le sommet du tout, comme ce vers quoi tout tend.

C’est le Bien qui provoque l’amour dans tous les sens du terme. L’amour est le moteur de l’existence: son terme unique et final est le Bien. L’amour provoque le mouvement d’ascension vers le Bien que Platon appelait conversion.

La vie intellectuelle, dans sa perfection, ne suffirait pas à susciter l’émoi amoureux. Si le sage désire ardemment cette vie, c’est qu’elle a l’attrait du Bien. La vie intellectuelle recherche donc le Bien; elle s’agite autour d’un impassible, le Bien, ou Un. L’Un est comme la cime des êtres et la source de tous leurs mouvements: il n’agit pas lui-même, mais fait agir l’intelligence, qui fait agir l’âme, qui fait agir le corps, qui agite la matière.

B. Le spectacle du monde

Chaque degré dans l’être engendre celui qui le suit. La contemplation de l’Un donne naissance à la richesse inépuisable du monde de l’esprit, qui vit d’une vie sans fatigue. À son tour, le monde sensible, ou nature, crée des êtres à profusion en contemplant le monde de l’intelligible, ou esprit. Le surgissement perpétuel des choses au sein de la nature, c’est encore la vie, qui naît, croît puis s’éteint perpétuellement.

Puissance formatrice des corps vivants, la vie est une forme active dont la profusion créatrice se crée d’elle-même. Pourtant, la vie des êtres naturels, produit de la contemplation des êtres spirituels, est moins parfaite que son modèle: la vie naturelle se fatigue, se fane et disparaît, même si c’est pour toujours ressurgir.

La vie est un degré inférieur du Bien, mais c’est un bien; sa déficience, son manque, son impuissance à être parfaitement le Bien, c’est ce qu’on appelle le mal.

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