Dans l’Hippias majeur, Socrate pose à Hippias la question: «Qu’est-ce que le beau?» Hippias confond la question avec: «Qu’est-ce qui est beau?», répondant que le beau, c’est une belle fille, un beau cheval… Tout ce qui est beau a en soi le même beau; c’est cette idée du beau, du pieux, de la vertu, etc., que Socrate recherche, afin de s’en servir comme critère de tout ce qui est beau, pieux, vertueux, et de ne pas qualifier de tel ce qui ne l’est pas.
Platon résume ainsi la thèse de Protagoras: «L’homme est la mesure de toutes choses», c’est-à-dire: telles m’apparaissent les choses, telles elles sont pour moi; telles les mêmes choses t’apparaissent, telles elles sont pour toi. Il n’y a pas d’opinion fausse, chacun a toujours raison de son point de vue.
Nous sommes donc, remarque Platon, tous aussi savants que les dieux; mais le porc est aussi savant que nous. Si les choses sont telles qu’elles apparaissent à chacun, ceux qui ont des opinions contradictoires ont raison tous deux: chacun pensant son opinion vraie et celle de l’autre fausse, chaque opinion est à la fois vraie et fausse. De même, l’opinion de Protagoras l’oblige à penser que ceux qui contredisent sa thèse ont raison, donc que sa thèse est aussi fausse que vraie.
Ce qui, selon Protagoras, justifie cette thèse, c’est que le monde est, comme le dit Héraclite, en perpétuel devenir: rien n’est fixe, tout change. Ce qui m’apparaît à moi, à tel moment, en tel lieu, cela seul est vrai pour moi, à tel moment, en tel lieu. Mais si une science est possible, il doit y avoir un vrai et un faux sur son objet, qui ne peut donc être changeant et relatif. Un savoir absolument certain porte sur ce qui est immuable et identique à soi-même: la forme des choses.
Prenons une chose belle: elle a la beauté en elle. Elle est pourtant moins belle qu’une autre chose, par rapport à laquelle elle est laide: cette chose n’est donc pas toute beauté, elle a aussi en elle la laideur. Ce qui en une chose fait qu’elle est belle, c’est ce qui fait que toute chose belle est belle, la beauté en soi, qui est toute beauté, et n’est que beauté. C’est ce que Platon appelle forme de la beauté, au sens du caractère distinctif de l’espèce de tous les objets beaux.
L’artisan qui fabrique un lit a un modèle à l’esprit de ce qu’est et doit être un lit. Le peintre, à son tour, qui dessine un lit, prend modèle non sur l’idée du lit, mais sur un lit réel, particulier, fabriqué par l’artisan. Ce dernier fait du lit en soi, créé par le dieu, une image, une copie à l’identique; quant au peintre, il fait du lit réel, en bois, à trois dimensions, un simulacre* à deux dimensions.
C’est que le domaine du peintre est l’illusion: faire que les choses paraissent ce qu’elles ne sont pas. Malhonnête, le simulacre artistique ne se présente pas tel qu’il est, c’est-à-dire copie: l’artiste trompe.
Ce qui guide la connaissance de l’idée du lit, c’est la science; la connaissance technique de la réalisation du lit se contente de l’opinion vraie; quant à l’artiste, seule l’ignorance, non innocente, lui appartient.