Comme Descartes, Leibniz veut établir les principes de la science, mais il se défie de l’intuition.
Les préceptes cartésiens sont bons, mais vagues: ils ne nous donnent pas de critères sûrs pour reconnaître la clarté et la distinction d’une idée. Ils en laissent l’appréciation à la conscience. C’est dangereux car souvent les hommes trouvent évident ce qui est obscur.
Il nous faut donc des critères objectifs, contrôlables: on n’acceptera comme vrai que ce qui est défini et démontré selon les règles formelles de la logique, qui empêchent l’intuition de divaguer. Une clarté apparente ne suffit pas: il faut trouver les notions simples composant les notions complexes, et vérifier qu’il n’y a pas entre elles une contradiction qui rendrait absurde la notion complexe.
D’où les définitions suivantes: une idée est claire quand elle suffit pour reconnaître la chose (ainsi l’idée du rouge), distincte quand nous pouvons en analyser les éléments constitutifs et la rendre intelligible par le discours (l’idée de rouge est claire mais non distincte, car il est impossible d’expliquer ce qu’est le rouge: il faut le voir).
Pour limiter le recours à l’intuition, Leibniz imagine un langage, imité des mathématiques, qui serait un instrument pour la pensée. Il s’agit de répertorier toutes les idées les plus simples, chacune étant symbolisée par un signe arbitraire, et d’en constituer une sorte d’alphabet.
Il suffirait ensuite de les combiner pour obtenir des idées plus complexes. Par exemple, la combinaison des idées de nombre (n) et de partie (â) donnerait l’idée complexe de «nombre des parties», c'est-à-dire de quantité (= n.â), etc.
L’intérêt est de réduire la pensée à un calcul infaillible, toujours facile, même s’il manie des idées de moins en moins évidentes. Seule compte la clarté des règles d’association. Ainsi peut-on être certain de la vérité d’un résultat scientifique, du fait de la rigueur des opérations qui nous y ont conduits, sans qu’il soit pour autant très «intuitif» (pensez à la théorie de la relativité!). Se limiter à l’évidence intuitive, c’est empêcher le progrès de la connaissance.
Il y a deux sortes de vérités*: les vérités de raison, qui se démontrent, et les vérités de fait, qui se constatent.
Les premières sont nécessaires – autrement dit: leur négation est impossible, parce que directement contradictoire avec des vérités simples (aussi indéniables que A = A) dont elles se déduisent (ainsi, nier que 2 + 2 = 4 est contradictoire avec les fondements évidents de l’arithmétique).
L’ensemble des vérités logiques et mathématiques n’a donc besoin pour être démontré que du principe de toutes les vérités simples: A = A – principe d’identité, ou de non-contradiction.
Les vérités de fait sont contingentes: leur contraire est possible, on peut les nier sans contredire un grand principe (je suis assis, mais il n’y aurait rien de contradictoire à ce que je sois debout). Cela signifie que le réel, l’ensemble des vérités de fait, a quelque chose de plus que la simple non-contradiction. Le principe d’identité ne suffit pas à rendre compte de l’existence des choses. Tout ce qui est possible n’est pas pour autant réel; il faut une détermination supplémentaire.
Tout fait réel doit en effet avoir une raison suffisante; mais pour la connaître – tout étant lié dans l’univers –, il faudrait connaître la raison de tous les autres faits, en nombre infini. Seule l’intelligence infinie de Dieu a cette connaissance, puisque c’est Lui qui crée toutes choses. Mais Lui-même n’a pas choisi entre les possibles sous la contrainte de la logique: ce sont des raisons morales, et non la nécessité du principe de contradiction, qui ont guidé son choix entre tous les possibles.
La règle du choix est le «principe du meilleur»: Dieu a choisi la combinaison de possibles ayant le maximum de perfection. Les faits restent donc contingents pour Dieu lui-même – leur raison suffisante ne leur donne qu’une nécessité morale, et non logique.