L'esthétique est la science du beau ou philosophie des beaux-arts. Elle aborde donc les œuvres par connaissance et jugement, non plus seulement par la satisfaction qu’elles procurent. C’est que notre époque est celle d’une culture réflexive, qui nous impose de ne pas se laisser aller immédiatement, mais de tout soumettre à réflexion. L’époque où l’art était la plus haute forme d’expression est révolue; en ce sens, l’art est quelque chose du passé.
Ce que la philosophie pense, la religion le vit dans le sentiment, et l’art le représente dans la matière; ils ont tous trois le même objet: les vérités les plus hautes. Tous trois expriment à leur façon l’absolu.
L’art n’est pas illusion, puisqu’il exprime ce qu’il y a de plus vrai; mais sa forme d’expression est imparfaite. Son but n’est pas d’imiter la nature. Ce qu’il représente par du sensible est spirituel: il satisfait un besoin de l’esprit, non un désir des sens. L’art n’est donc pas un savoir conceptuel; son but est la représentation dans l’existence sensible de ce qu’il y a de plus élevé et de plus spirituel: la vérité, la liberté.
Le plus haut qu’une époque atteigne, toutes les manifestations de sa vie l’expriment. L’art d’un temps exprime l’esprit de ce temps.
L’œuvre d’art est comme un esprit matérialisé. Cette âme que l’œuvre manifeste, qu’elle arrache à la pure intériorité de la subjectivité pour l’exprimer, c’est la sérénité des dieux grecs de la statuaire antique, la liberté des héros dramatiques, que le destin ne prend pas. L’œuvre d’art exprime l’idéal*.
Les beautés de l’art sont donc supérieures à celles de la nature, car elles expriment plus parfaitement la spiritualité. En l’homme, la nature est devenue consciente d’être esprit: les créations artistiques de l’homme, sont, dit Hegel, «nées et comme deux fois nées de l’esprit». L’esthétique est donc la science des beautés artistiques, non des beautés naturelles.
L’œuvre ne se contente pas de susciter des sentiments. Son objectivité et son universalité seraient dissoutes dans la subjectivité et la particularité de chacun. Même à supposer un sens du beau que l’on pourrait cultiver en goût universel et objectif, cette façon d’approcher l’art demeurerait un pur contentement des sens.
En effet, l’œuvre d’art suppose la réflexion. Face à une œuvre, la sensibilité ne suffit pas, il y faut aussi la connaissance: l’homme de goût fait place au connaisseur. L’époque de l’œuvre, la vie de l’artiste, la matière et la technique de l’œuvre, voilà ces éléments sur lesquels s’appuie le connaisseur.
Le sens du beau et le «connaisseurisme» s’attachent à des points particuliers de l’œuvre, mais en manquent l’essentiel. Certes, plaisir et connaissance sont indispensables pour juger d’une œuvre; mais c’est d’un point de vue esthétique seulement qu’on est en mesure d’en apprécier la profondeur. Le philosophe est le meilleur public de l’art, car lui seul sait placer l’art aussi haut qu’il le mérite.
L’artiste dispose d’une imagination créatrice appelée fantaisie. C’est à ce niveau que se fait l’union du sensible dans sa variété, et de la profondeur de la vérité: l’imagination est la faculté de présenter une vérité universelle de la pensée sous une forme vivante et matérielle. Le génie possède le pouvoir de création artistique, en partie seulement inné.
L’artiste exprime ce qui est objectif, nullement ce qui manifeste sa subjectivité propre. Cela ne signifie pas qu’il exprime ce que la réalité quotidienne a de plus prosaïque, mais ce qu’il ressent d’objectif. Exprimer cela, ce n’est pas simplement pénétrer profondément par son âme les vérités les plus hautes, pour y faire allusion par des signes extérieurs recueillis dans une œuvre; c’est donner à cet état d’âme une existence sensible objective, devenue ainsi communicable.
La façon dont l’artiste s’exprime ne doit être ni une manière ni un style. La manière ne manifeste que les contingences de la personnalité de l’artiste, en opposition avec le fonds nécessaire qu’il a à exprimer; le style exprime impersonnellement ces vérités en même temps qu’il tient compte des particularités du matériau. La véritable originalité en art consiste à exprimer le plus personnellement les vérités les plus générales.