L'épicurisme se propose la recherche du bonheur individuel dans un monde privé de repères politiques. Le souverain bien est le plaisir, mais pas n’importe lequel…
C’est une juste connaissance de la nature des choses qui permet au sage de dissiper les craintes et les superstitions qui rongent notre existence.
Observons d’abord le monde: il est fait de corps en mouvement, composés d’éléments divers, qui sont eux-mêmes composés. Mais on ne peut remonter ainsi indéfiniment: il y a des éléments non composés, simples, insécables. Ce sont les atomes (a, privatif, tomein, couper). En nombre infini, de formes différentes, ils sont les principes éternels de toutes choses. En mouvement dans le vide, ils se rencontrent au hasard (en vertu d’une déviation infime et aléatoire de leur trajectoire: le clinamen) et s’agrègent, selon leur forme et leur compatibilité, pour former des corps composés, plus ou moins durables.
Tout découle ainsi du hasard – qui fait les rencontres – et des lois physiques – qui décident de la viabilité des assemblages. Aussi, le monde, la vie sur terre n’existent pas en vertu d’un projet divin, mais par le hasard d’une heureuse combinaison.
Un tel système évacue du monde toute volonté divine; aux phénomènes il faut chercher une explication strictement physique, tirée des lois de la mécanique atomistique. Voilà qui est propre à dissiper les superstitions qu’engendrait l’ignorance.
La religion est en effet née de la terreur qu’inspire aux hommes la puissance énorme et mystérieuse de la nature. Infimes au milieu d’elle, ils l’ont personnifiée, divinisée, lui attribuant une volonté dont ils ont voulu s’attirer la bienveillance en offrant des sacrifices.
Mais la connaissance de la physique disperse comme autant de fumée toutes ces sombres folies: le tonnerre effrayant n’est pas la colère de Zeus que nous devrions apaiser, mais l’entrechoquement dans le ciel des particules qui constituent les nuées. Et ainsi pour tout.
Le second mérite de la physique est de réduire l’autre grande cause de la religion: la peur de la mort. Pourquoi craignons-nous la mort selon Épicure? Parce que nous redoutons de la vivre, et tremblons de connaître ce qui la suit. Pour conjurer leur terreur, les hommes cherchent des consolations religieuses, et tentent d’obtenir, par le sacrifice de leur bonheur terrestre, une vie bienheureuse dans l’au-delà. La crainte de l’avenir dévore ainsi le présent.
Or cette peur est insensée: car tout comme le corps, l’âme est faite d’atomes. La mort est leur dispersion définitive; rien ne subsiste donc qui pourrait laisser prévoir une vie après la mort; quant à la mort elle-même, elle n’est rien que nous puissions ressentir: elle est un néant, néant d’être et absence de toute sensation. Elle ne nous concerne pas, ne nous touche pas. Tant que je suis là, capable de sentir, la mort n’est pas; quand elle est là, je n’y suis plus. Puisqu’elle ne nous causera aucun trouble, l’inquiétude liée à son attente est dénuée de sens. C’est l’imagination qui nous empoisonne.
Libéré des soucis qui séparent l’insensé de lui-même, le sage se concentre tout entier dans l’instant présent, dont il peut jouir dans la plénitude: il atteint l’ataraxie*. Un seul guide: le plaisir*. Il n’est autre, au fond, que la joie positive de se sentir exister. Sa condition est d’abord l’absence de douleur et de trouble; sa réalisation, la jouissance des biens naturels et nécessaires à la vie. Les satisfactions les plus simples deviennent ainsi les actes sacrés de l’existence.
L’épicurisme ne se confond guère avec l’hédonisme, poursuite aveugle du plaisir sans distinction. La raison doit en effet guider le sage dans sa quête: certains plaisirs momentanés doivent être refusés, car ils ont pour conséquence de grandes douleurs, physiques ou mentales. La richesse, les honneurs, la débauche, les excès en tout genre sont contraires à l’idéal d’indépendance et de tranquillité de l’épicurien. Celui-ci mène une vie exigeante et joyeuse, loin de la fureur du monde.