La décolonisation (1947-1975) a précipité l'effondrement politique de l'Europe occidentale et indirectement renforcé la prépondérance des deux Supergrands qui n'avaient jamais recouru à l'impérialisme colonial comme moyen de puissance. Les volontés indépendantistes remontent à l'époque de la colonisation mais jamais jusqu'alors, elles n'avaient réellement troublé les métropoles. C'est la Seconde Guerre Mondiale qui va créer les conditions de l'indépendance nationale des peuples colonisés.
La décolonisation s'est déroulée de manière très hétérogène selon les pays et les empires coloniaux. C'est pourquoi il est intéressant de faire une comparaison entre la décolonisation des deux plus grands empires coloniaux : l'Empire colonial britannique et l'Empire colonial français.
Les décolonisations française et britannique relèvent des mêmes causes : un système colonialiste qui tire profit des populations locales sans accomplir la mission de transfert de connaissances et de "civilisation" qu'il s'était assigné (cf. The White Man's burden (Le fardeau de l'homme blanc) de Rudyard Kipling), des populations indigènes qui aspirent à l'indépendance et les conséquences de la Seconde Guerre Mondiale qui a précipité l'effondrement des empires coloniaux, désormais incapables de contenir les offensives des nationalismes indigènes.
En 1939, l'Empire britannique (dominions compris) s'étend sur 42 millions de Km2 et compte 400 millions d'habitants. Loin derrière, l'Empire français couvre 10, 6 millions de Km2 et dénombre 62 millions d'habitants. Les puissances coloniales n'ont pas rempli leur mission d'apporter la civilisation (le taux d'illettrisme en Algérie est encore de 83% à la veille de la Seconde Guerre).
La mise en valeur des empires reste donc essentiellement agricole et minière. Une partie importante de la surface agricole exploitable a été transférée aux colons aux dépens des sociétés indigènes. Ces terres sont vouées le plus souvent à des cultures d'exportation, ce qui crée un lien de dépendance vis-à-vis de la métropole. La situation économique est précaire car les colonies sont sous-équipées en infrastructures et en matériel partout, à des degrés divers. Mais le sous-développement économique n'existe pas encore car les colonies n'existent pas sur le plan économique. Pourtant, en cas de rupture, la misère des peuples africains et asiatiques, jusqu'alors masquée par les bilans économiques fallacieux des colonisateurs peut apparaître.
Sur le plan politique, il faut distinguer les colonies dans lesquelles tout dépend de la métropole (il n'y existe plus de vie politique locale indépendante), et les protectorats qui jouissent d'une autonomie interne mais pour lesquelles la métropole organise tous les rapports avec l'extérieur (politique monétaire, politique militaire, affaires étrangères).
Ils sont animés par les élites urbanisées : Parti du Congrès indien, Néo-Destour tunisien, Istiqlal marocain… Paradoxalement, ce sont les élites indigènes privilégiées puisqu'elles ont bénéficié des efforts d'éducation des colonisateurs qui vont se retourner contre eux et entraîner leur perte. Les chefs nationalistes sont issus de la moyenne bourgeoisie (Nehru, Houphouët-Boigny), de l'armée (Nasser), du mouvement étudiant (Hô Chi Minh, Nyerere) ou syndical (Sekou Touré), parfois de l'aristocratie (Mohammed V). Le nationalisme anticolonialiste réfléchi est en fait un produit de la culture occidentale dispensée libéralement dans les universités métropolitaines aux fils des riches familles indigènes, les "educated natives". Initialement portés à revendiquer le partage du pouvoir avec les Européens (participationnisme), ils se sont ensuite faits les champions de l'autonomie, puis de l'indépendance devant le manque de compréhension de la métropole.
La renaissance islamique a été un autre facteur de l'anticolonialisme. Les peuples colonisés se sentent unis par leur identité religieuse contre l'oppresseur de civilisation chrétienne. Le nationalisme est un des cinq points de la révolution islamique.
Enfin, l'anticolonialisme a reçu des encouragements. Des pays ne possédant pas de colonies d'abord : l'URSS et les autres pays communistes identifient la lutte contre le colonialisme à la lutte contre le capitalisme. Les Etats-Unis mènent une politique quelque peu ambiguë en la matière : le libéralisme américain est par nature hostile au colonialisme (souvenir de la tutelle britannique sur les 13 premières colonies américaines) mais au cœur de la Guerre Froide, les Etats-Unis préfèrent parfois soutenir les puissances coloniales plutôt que d'aider des mouvements nationalistes communistes (Cf. cas de l'Indochine). Deuxième type de soutien, celui de l'ONU qui même si elle ne peut ouvertement critiquer les empires coloniaux déjà constitués (elle ne peut condamner que les tentatives de colonisation postérieures à sa création), apporte une aide morale aux pays qui tentent de s'émanciper de la tutelle coloniale. Autre type de soutien : celui des Eglises qui se rallient à l'idée d'émancipation. Du côté catholique comme du côté protestant, les missions ne se veulent plus au service du colonialisme et les deux Eglises mènent une indigénisation de leur clergé en Asie comme en Afrique. Enfin, les mouvements nationalistes trouvent soutien au sein-même des métropoles colonisatrices : les libéraux sont partisans du droit des peuples à l'indépendance, les intellectuels de gauche sont anti-impérialistes (Sartre dans la Revue des Temps Modernes) et les cartiéristes (de Raymond Cartier, journaliste à Paris-Match) dénoncent le coût des colonies.
La Seconde Guerre Mondiale a d'abord amené un affaiblissement durable du prestige des principales puissances coloniales européennes : elles ont perdu de leur dimension internationale et font plus figures de vaincus que de vainqueurs. De plus, les contradictions entre les positions affichées dans la Charte de l'Atlantique sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et la reconduction de l'administration coloniale après la guerre sont manifestes.
En outre, la France comme la Grande-Bretagne sont très affaiblies économiquement : elles ne disposent plus des moyens financiers pour entretenir des empires coloniaux très coûteux en investissements. Elles se focalisent sur la reconstruction de leurs propres territoires.
Enfin, la force de la colonisation résidait dans les moyens militaires et aéronavals des métropoles. Or, la guerre les a détruits, neutralisés ou immobilisés. De plus, le contexte de la Guerre Froide et la phobie de la "menace soviétique" donnent la priorité à un dispositif défensif européen et non à un déploiement des forces dans les empires coloniaux.
Si les données initiales sont les mêmes pour la France comme pour la Grande-Bretagne, la décolonisation va se dérouler de manière totalement différente car les deux pays n'ont pas abordé le problème de la décolonisation sous le même angle : elles ont en effet mis en place deux stratégies très différentes.
Aucune puissance n'a été plus amoindrie par la décolonisation que la Grande-Bretagne ; plus que tout autre pays, elle tirait son pouvoir de son empire colonial qui était le plus vaste jamais constitué. Pourtant, de façon presque paradoxale, le gouvernement britannique a fait preuve de l'empirisme le plus souple. Londres a déjà l'expérience de la décolonisation avec l'indépendance du dominion canadien par exemple. Contrairement à la France, la Grande-Bretagne a très vite compris que l'émancipation totale de son empire était inéluctable et plutôt que de se laisser arracher cette indépendance, elle a préféré organiser elle-même le cadre de l'indépendance de ses colonies.
Cette stratégie suivie tant par les Travaillistes que par les Conservateurs ne procède pas d'un laxisme résigné : elle tient du souci d'éviter les troubles liés au changement de régime et d'éviter l'installation du communisme, de préserver les droits des minorités ethniques mais aussi (et peut-être surtout ?) de préserver les intérêts britanniques. Derrière cette indépendance menée en douceur, la Grande-Bretagne nourrit le souhait de reconvertir son Empire déchu dans le Commonwealth.
Le Commonwealth créé en 1931 doit en effet servir de structure pour accueillir les membres de l'ex-empire et tenter de maintenir des liens économiques et culturels.
La stratégie française de décolonisation se caractérise d'abord par son inexistence. Il a en effet fallu très longtemps aux autorités françaises pour admettre l'impossibilité de résister à la poussée nationaliste des peuples colonisés.
Ainsi, en 1944, à la Conférence de Brazzaville, ce n'est pas de décolonisation qu'il s'agit : la France tente au contraire de redéfinir sa politique coloniale. La France recommande la participation des populations à la gestion de leurs affaires mais rejette catégoriquement l'éventualité de l'indépendance ou même de l'autonomie des colonies. De Gaulle comme Pleven (commissaire aux colonies) croient encore à l'intégration des colonies et n'envisagent qu'un élargissement du recrutement et de la compétence des assemblées locales. La Constitution de 1946 prolonge la Conférence de Brazzaville en organisant dans le cadre de l'Union Française une représentation des territoires coloniaux à l'Assemblée Nationale.
En 1956, alors que la France a déjà perdu l'Indochine, le Maroc, la Tunisie et que la guerre d'Algérie déchire le pays, la France refuse toujours l'indépendance. Pourtant, une évolution vers le self-government se fait sentir : la loi-cadre Defferre accentue la décentralisation administrative et généralise le suffrage universel direct dans tous les territoires coloniaux.
De retour au pouvoir en 1958, de Gaulle tente de trouver les moyens pour sauvegarder l'influence française. La Constitution de 1958 qui crée la Vème République remplace donc l'Union Française par la Communauté. La Guinée vote non au référendum et devient aussitôt indépendante. Pour la première fois, les autorités françaises autorisent l'indépendance par l'article 86 de la Constitution qui laisse à tout Etat membre de la Communauté la possibilité de la quitter sur décision de son Assemblée Territoriale. L'ébauche d'une politique de décolonisation française commence donc alors avec la fin de l'Empire français. Les institutions n'ont même pas le temps de voir le jour : en 1959-1960, tous les Etats africains autonomes et Madagascar proclament leur indépendance.
Les stratégies mises en place par la Grande-Bretagne et la France ont récolté les fruits qu'elles avaient semés puisque la stratégie souple de la première a conduit à un décolonisation en douceur alors que l'attachement sentimental de la France à ses colonies et l'absence d'une stratégie réelle de décolonisation ont entraîné les conflits passionnés que l'on connaît.
Voici une courte chronologie des événements marquants de la décolonisation anglaise :
La stratégie adoptée par la Grande-Bretagne lui a permis dans l'ensemble d'opérer une décolonisation dans la douceur. Toutefois, la violence n'est pas toujours évitée (Inde et surtout Kenya). Certains pays ont refusé d'ailleurs d'entrer dans le jeu de la Grande-Bretagne en n'adhérant pas au Commonwealth (cas de la Birmanie ou du Soudan). D'ailleurs, le Commonwealth a lui-même perdu de son importance car les intérêts américains ont relayé les intérêts britanniques dans l'ex-empire et l'intégration de la Grande-Bretagne dans l'Europe contribue à diluer les relations particulières qu'elle avait souhaité conserver avec ses anciennes colonies.
On peut distinguer les épisodes particulièrement violents de la décolonisation de l'Indochine et de l'Algérie des opérations mouvementées moins sanglantes de la décolonisation de la Tunisie, du Maroc et de Madagascar. A partir de cette distinction, voici une courte chronologie des événements.
Le manque de réalisme des autorités françaises a fait de la décolonisation une opération très douloureuse tant pour la métropole et pour ses colonies. Le démantèlement de l'empire colonial français ne s'est fait dans la sérénité qu'en Afrique Noire et plus tard à Djibouti. Contrairement au Royaume-Uni, la France n'a pas su mettre la métropole à l'abri des déchirures de son empire colonial et la décolonisation a lourdement avivé les divisions des Français.