Le Japon a longtemps défrayé toutes les chroniques économiques : vaincu de la Seconde Guerre Mondiale, en outre quasiment totalement dépendant de l'extérieur pour ses matières premières et ses ressources énergétiques, le Japon a pourtant su se hisser au 2ème rang de l'économie mondiale. Quelle est donc la recette de cette réussite japonaise ?
L'examen du modèle japonais permettra dans un deuxième temps d'examiner les mutations profondes que connaît aujourd'hui le Japon, mutations qui peuvent aboutir à une remise en cause de ce modèle.
Le Japon ne dispose pas d'un environnement naturel des plus favorables à son développement. Ces difficultés tiennent d'abord à son insularité (archipel d'îles avec 4 îles principales mais plus de 4 000 îles au total) ; au relief montagneux (les montagnes couvrent 72% de la surface de l'archipel) ; aux aléas climatiques (typhons tropicaux, raz de marée) ; aux tremblements de terre et aux éruptions volcaniques (le Japon appartient à la "ceinture de feu" du Pacifique et les mouvements tectoniques tertiaires s'y poursuivent au quaternaire. Le Japon compte quelques 192 volcans et les terres volcaniques recouvrent 25% du territoire) ; à la faible importance des terres arables (la SAU est une des plus petites du monde) ; à l'absence de matières premières et de sources d'énergie (quantités infimes de pétrole, très peu de gaz naturel, de minerai de fer, de charbon).
Cependant, la mer qui entoure le Japon, à la faveur de la rencontre entre courants marins chaud et froid, est très poissonneuse. En outre, la végétation japonaise est très riche et diversifiée (les forêts recouvrent près de 70% du territoire). Enfin, l'isolement insulaire du Japon l'a protégé des invasions étrangères.
En dépit de conditions naturelles aussi difficiles, les Japonais ont su maîtriser leur territoire : le réseau de transports est efficace et dense, les Japonais ont su s'adapter à la petite taille de leur territoire en pratiquant un contrôle démographique et en se concentrant dans les villes où ils doivent se satisfaire d'habitations très petites en comparaison de celles des autres pays développés. Ainsi, presque 80% de la population vit dans les villes japonaises. Les concentrations démographiques sont extrêmes atteignant des densités supérieures à 1 000 habitants par Km2, en particulier dans la gigantesque mégalopolis.
La société japonaise, profondément originale, joue un rôle prépondérant dans le succès économique japonais. Ainsi, l'identification de l'individu au groupe est une des clés de voûte du système nippon. Ce holisme très poussé joue à la fois au niveau de la cellule familiale, au niveau de l'entreprise et au niveau de l'Etat. Ainsi, la soumission de l'individu au groupe permet une très forte cohésion du corps social. De même, au niveau de l'entreprise, les relations dans le travail s'inscrivent dans le cadre d'un très large consensus social : le système rigide, discipliné et très respectueux des hiérarchies est encore très empreint de paternalisme. Le sentiment d'appartenir à une collectivité maintient la paix sociale. La conscience aiguë de chaque citoyen japonais d'appartenir à une nation au destin singulier est de surcroît renforcée par l'extraordinaire homogénéité ethnique du pays (les étrangers forment seulement une communauté de 1, 5 million dont la plupart sont des Coréens, puis loin derrière des Chinois).
Sur le plan religieux, la civilisation japonaise a intégré à sa religion autochtone, le shintoïsme, des apports extérieurs, en particulier ceux du bouddhisme et du confucianisme. Ces valeurs religieuses marquent les mentalités japonaises. Par exemple, la notion de respect, le culte des ancêtres et de la famille fondent la société japonaise.
Autre caractéristique notable du peuple japonais : son niveau d'éducation élevé. Le Japon est en effet le pays où l'on trouve le plus grand nombre de livres et de journaux par habitant. Le système scolaire élitiste est fondé sur une sélection impitoyable qui permet à la fois d'entretenir le culte du travail (les Japonais disposent de seulement 15 jours de vacances par an) et de fournir aux entreprises un personnel qualifié.
La structure du commerce extérieur japonais permet de comprendre la structure traditionnelle de l'économie japonaise après la seconde guerre mondiale. Ainsi, au début des années 1980, près de 50% des importations japonaises étaient constituées de pétrole et d'autres produits énergétiques et un peu plus de 17% étaient des matières premières. Seulement un peu moins de 20% de ses importations étaient des produits manufacturés. Enfin, le Japon était le plus gros importateur mondial de produits agricoles (10% des importations). Au contraire, les exportations japonaises étaient à plus de 90% des produits manufacturés.
L'examen de la structure de ce commerce extérieur appelle plusieurs commentaires. D'abord, il rappelle la très haute dépendance du Japon vis-à-vis de l'extérieur : tant au niveau du ravitaillement en matières premières et sources énergétiques que pour les débouchés des produits japonais à forte valeur ajoutée. Ensuite, le caractère largement bénéficiaire du commerce extérieur souligne l'efficacité du commerce japonais qui s'explique à la fois par l'aide de l'Etat aux exportations (et ce, depuis le début du siècle) et par l'efficacité très poussée des maisons de commerce (sôgo shôsha) qui prospectent les marchés étrangers pour chaque secteur et branche de l'économie japonaise.
Mais l'examen de la structure du commerce extérieur japonais témoigne surtout de la structure de l'économie japonaise : le Japon était littéralement devenu un pays atelier. Il a besoin de vendre pour acheter les matières premières indispensables à son industrie et pour continuer à produire. Cette situation résulte de la volonté des gouvernements japonais de faire de leur pays une grande puissance industrielle malgré la faiblesse éclatante des ressources naturelles.
Outre la volonté étatique, le succès économique du Japon repose également sur la forte concentration industrielle : les zaikai, puissants groupes d'affaires privés à la fois bancaires et industriels dominent et conditionnent l'économie nationale.
Depuis les années 1970 et le réveil des NPI, le Japon a vu ses produits concurrencés par les produits de bas de gamme des nouvelles puissances industrielles du Tiers Monde. Confronté à l'affaiblissement des branches qui ont traditionnellement fait son essor, le Japon s'est alors tourné vers les secteurs de pointe et a engagé des capitaux considérables en recherche et développement. Le Japon, jusqu'alors imitateur de l'Occident a délégué ces fonctions aux NPI et devient un pôle de développement scientifique important. Il occupe désormais un rôle prééminent dans les technologies de pointe telles l'électronique, l'informatique ou les biotechnologies. Le Japon est désormais un des pays du monde qui consacrent la plus forte part de leur PIB à la R&D (3% du PIB) ; il y a aujourd'hui près de 9 actifs sur 1000 qui sont des scientifiques. Ancien pays atelier, le Japon transfère désormais les fabrications à faible valeur ajoutée vers les pays à bas salaires. Cependant, malgré la concurrence des NPI, les industries de base (comme la sidérurgie) représentent encore plus de 25% de la production industrielle.
Le Japon est devenu au cours des années le pays le plus riche du monde, détenteur d'un tiers de la fortune mondiale. Il est donc naturellement devenu un des plus grands pôles financiers avec la Bourse de Tokyo. Cependant, la crise asiatique de juillet 1997 a montré les risques de la puissance financière.
Une autre mutation majeure du Japon réside dans les liens nouveaux qu'il tisse avec ses voisins. Des flux commerciaux de plus en plus intenses se développent entre les pays de l'Asie du Sud-Est avec des flux de produits bruts dans un sens et des produits manufacturés de l'autre. Le Japon est devenu un des partenaires économiques principaux des pays de l'Asie du Sud-Est en leur achetant des matières premières et en leur revendant des biens d'équipement. Il a aussi délocalisé une partie de sa production en créant des filiales étrangères ou en s'appuyant sur les entreprises locales. L'investissement japonais est donc un des moteurs du développement de l'Asie du Sud-Est.
Les flux financiers sont encore plus importants. D'où une intégration financière de plus en plus poussée qui n'est pas sans risque comme en témoigne la généralisation de la crise asiatique à toute l'Asie du Sud-Est.
Cependant, la coopération économique du Japon avec les pays du Sud-Est asiatique se heurte à des difficultés liées à l'Histoire. Ces derniers, victimes de la dure occupation japonaise redoutent maintenant l'impérialisme économique japonais. Les relations tendues avec la Corée du Sud, voisin le plus proche témoignent de ces difficultés. Le Japon devra donc s'ingénier à faire oublier ce lourd héritage du passé.
Les mentalités japonaises connaissent aujourd'hui une mutation considérable. Les jeunes générations semblent réticentes à mener le même mode de vie que leurs parents et recherchent un mieux-être. On peut dénombrer plusieurs vecteurs de contestation du modèle japonais traditionnel.
Les jeunes générations aspirent à un autre genre de vie où la consommation et les loisirs tiennent plus de place. L'Etat d'ailleurs accompagne cette évolution en incitant par exemple les salariés à prendre des vacances (campagne d'affiches "se reposer permet de mieux travailler") alors que beaucoup de Japonais ne prenaient même pas les congés qui leur étaient accordés. Le développement du tourisme témoigne de cette montée de l'hédonisme. La vie quotidienne difficile des Japonais est dénoncée : logements chers et exigus, coût de la vie élevé, omniprésence du travail…
Le paternalisme dans les entreprises est moins bien accepté par les jeunes générations qu'autrefois. D'autre part, autre problème dans le monde du travail : la situation très difficiles des PME sous-traitantes qui subissent la pression économique et financière des grandes entreprises.
Elle se développe à la fois chez les femmes qui ont toujours connu des conditions de vie difficile (emplois sous payés, rôles subalternes). Autre forme de contestation plus dangereuse : celle des sectes qui se développent et dont la manifestation la plus spectaculaire est l'attentat au gaz sarin par la secte Aoum dans le métro de Tokyo en 1995. Ce mal être social est également perceptible dans les taux anormalement élevés de suicide, en particulier chez les jeunes.
Ces problèmes touchent différentes couches de population. Le nombre très important de retraités lié à une population vieillissante pose problème dans la mesure où leurs moyens de subsistance reposent surtout sur l'épargne et ils ont donc été très durement touchés par la Crise Asiatique. La Crise a également développé un chômage qui représente moins de 5% officiellement, mais le double si l'on utilise les critères européens. La remise en cause de l'emploi à vie dans les grandes entreprises participe de ce même mouvement vers moins de sécurité d'emploi.
L'ensemble de ces éléments crée un malaise social important dans la société japonaise, renforcé par une moindre confiance dans l'Etat qui ne semble pas en mesure de résoudre efficacement les problèmes auxquels fait face la société japonaise (par exemple, le tremblement de Kobé en 1995 a été mal géré par les autorités et elles ont été très critiquées).
Le Japon est aujourd'hui confronté à des choix de société majeurs. Il semble que l'ancienne voie ne soit plus la bonne, tout du moins ne corresponde plus à celle que les nouvelles générations veulent suivre. Qui plus est, les problèmes sociaux qui apparaissent tout autant que l'ouverture de plus en plus nette vers l'extérieur poussent également dans le sens d'un renouveau que le Japon doit construire.