« Ce siècle avait deux ans » lorsque naquit Victor Hugo à Besançon d’un futur général d’Empire. En 1809, ses parents s’installent à Paris aux Feuillantines, mais ne tardent pas à se séparer. Malgré de brillantes études de sciences, le jeune homme se destine aux lettres : « Je veux être Chateaubriand ou rien. » Il reçoit d’ailleurs quelques prix littéraires, qui l’encouragent, et il fonde en 1819 une revue : Le Conservateur littéraire. En 1822, il épouse Adèle Foucher, et produit ses premières œuvres : Han d’Islande, Bug-Jargal, Odes et Ballades en 1826, Cromwell en 1827, Les Orientales en 1829, Le Dernier Jour d’un condamné, Marion Delorme. Progressivement s’affirme l’engagement romantique de l’écrivain, timide dans la préface des Odes, triomphant dans celle de Cromwell. Chez lui se réunissent les romantiques qui forment le Cénacle* : Vigny, Dumas, Balzac, Sainte-Beuve, Nerval, Gautier.
En 1830, le drame Hernani provoque une bataille littéraire des plus mémorables entre les classiques et les romantiques. La liaison de Sainte-Beuve avec son épouse conduit Victor Hugo à prendre pour maîtresse Juliette Drouet, une relation qui, sans exclusive, durera toute leur vie. Après Notre-Dame de Paris et Les Feuilles d’automne en 1831, Lucrèce Borgia, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures, Ruy Blas en 1838, Les Rayons et les Ombres, le poète est élu à l’Académie française en 1841. C’est la consécration.
En 1843, la mort tragique et accidentelle de sa fille Léopoldine, accable le poète. Il se détourne de la création et se consacre à la politique. Nommé pair de France en 1845, il donne à ses discours une portée sociale : il n’en est pas moins élu sur une liste de droite en 1848, et soutient le prince président. Mais son évolution vers la gauche le conduit à condamner les menées et le coup d’État du futur Napoléon III. Il doit fuir en Belgique, puis dans les îles anglo-normandes, Jersey, et Guernesey. C’est l’exil. Pour flétrir son adversaire, il publie en 1853 Les Châtiments. Il renoue avec l’inspiration lyrique* dans Les Contemplations en 1856, La Légende des siècles en 1859, et influencé par le spiritisme et les doctrines occultes, il travaille à son épopée philosophique inachevée : La Fin de Satan et Dieu. Il publie aussi des romans : Les Misérables en 1862, Les Travailleurs de la mer (1866), L’Homme qui rit (1869) et Quatre-vingt-treize (1874).
Après la chute de l’Empire en 1870, le proscrit revient d’exil.
Le massacre des communards le désole. Il perd François son fils en 1873, puis Juliette Drouet en 1883. Devenu sénateur inamovible en 1876, il incarne aux yeux de tous la foi républicaine inébranlable. Lorsqu’il meurt en 1885, des funérailles nationales grandioses le conduisent jusqu’au Panthéon.
L’ampleur et la cohérence de la pensée de Victor Hugo sont remarquables : philosophie, religion, politique, art, tout est lié chez ce génie du siècle, quoi qu’il n’ait cessé d’évoluer au cours de sa longue vie. Catholique à ses débuts, Hugo s’oriente progressivement vers le déisme*, et vers le panthéisme*, car pour lui « la religion n’est autre chose que l’ombre portée de l’univers sur l’intelligence humaine ». Mais l’inquiétude métaphysique* perce dans les poèmes tardifs, La Fin de Satan et Dieu, où il envisage « le problème unique, l’Être, sous sa triple face : l’Humanité, le Mal, l’Infini ». Toutefois, l’espoir grandiose demeure en lui.
Cette métaphysique* débouche sur une perspective éthique et politique : sa foi en l’homme le conduit à s’engager dans la cité. Successivement légitimiste, orléaniste, républicain, puis même socialiste, de la droite traditionaliste jusqu’à une gauche très avancée, Victor Hugo est cet homme en marche, qui, en luttant pour l’Homme, est allé à la rencontre des hommes. Il combat l’injustice, la peine de mort, l’exploitation des enfants au travail, la misère en général. Il combat pour le bonheur et la liberté.
Cette liberté trouve son application en art. Hugo s’éloigne de plus en plus du classicisme, et de ses règles strictes, et revendique pour le poète la liberté, et notamment sur la scène. Cette indépendance permettra à l’écrivain d’évoluer avec son siècle, au-delà de toute école littéraire.
Pour Victor Hugo, la valeur suprême en art, bien plus que le talent ou le goût, c’est le génie, dont le propre est de ne se plier à aucune règle, sinon les siennes. La puissance de son génie étonne. C’est d’abord une œuvre considérable en volumes, une passion des extrêmes, des contraires, des immensités, des profondeurs, des hauteurs, du mouvement et de l’énergie, mais aussi une grande sensibilité pour la faiblesse, la misère, les petits détails. Du poète, et de lui-même, Hugo se fait une image prophétique : il est le voyant qui transmet à la foule les révélations surnaturelles. Plus que voyant, malgré ses expériences à Jersey, il est en réalité visionnaire. Il est peu de genres qu’il n’ait un jour ou l’autre abordés : le roman, la poésie, l’essai, le théâtre, le discours, et même le dessin, et dans tous les registres, ludique, tragique, comique, élégiaque, mythique, satirique, épique*, lyrique*, philosophique, politique...
Le lyrisme est le style ordinaire du poète. Dans la préface des Odes de 1822, il écrit : « la poésie c’est tout ce qu’il y a d’intime dans tout ». Les Feuilles d’Automne et Les Chants du crépuscule confirment cette tendance : ce sont des « vers de l’intérieur de l’âme ». Les Contemplations, après la mort de Léopoldine, poursuivent cette veine avec mélancolie, et notamment le poème « Demain, dès l’aube... »
Mais le mysticisme l’emporte souvent. Déjà, la préface des Odes assignait au poète une mission prophétique, « Car la poésie est l’étoile/ Qui mène à Dieu rois et pasteurs », affirme le poète dans Les Rayons et les Ombres. Il n’hésite pas à s’engager contre Napoléon III dans Les Châtiments. Mais il donne à ses vers en général une ambition plus vaste, métaphysique* et cosmique. La Légende des siècles embrasse l’humanité, et roule jusqu’aux rives de l’éternité. Enfin, ses visions quasi hallucinatoires culminent dans l’évocation de La Fin de Satan et de Dieu.
L’œuvre romanesque* n’est pas moins considérable, et a valu à l’écrivain une gloire populaire remarquable. Ces trois manières, le roman noir, le roman historique et le roman social se retrouvent souvent dans ses récits. Han d’Islande est un bandit littéralement assoiffé de sang. Bug-Jargal est le chef des nègres révoltés à Saint- Domingue. Notre-Dame de Paris met en scène une sombre et romanesque histoire aux pieds de la cathédrale dans le Paris du xve siècle ; ce dernier roman, puis Les Misérables, Les Travailleurs de la mer et Quatre-vingt-treize, sont de véritables épopées en prose.
L’œuvre dramatique est elle aussi remarquable, avec Hernani et Ruy Blas. On lit moins ces autres pièces, fort belles cependant, Lucrèce Borgia, Marie Tudor, Marion Delorme, Le roi s’amuse, Angelo. Ces drames répondent à l’esthétique de l’auteur : mélange des genres, intrigues romanesques et politiques, décor Renaissance bien souvent, personnages ardents, sombres, grotesques ou sublimes.
On peut lui préférer tel ou tel autre auteur : Victor Hugo n’en est pas moins la figure littéraire capitale de ce siècle.