L’origine de la légende remonte à un héritage mythologique commun, dont les traces les plus anciennes se retrouvent en Cornouailles. De là, plusieurs récits épars ont été composés, que des auteurs, à partir du xiie siècle, ont tenté de réunir. Il n’y a donc pas un, mais plusieurs Tristan et Yseult. Les versions diverses ne racontent pas toujours les mêmes épisodes, et de l’une à l’autre, sans parler du style, les différences sont souvent importantes.
La version que Bréri le Gallois présenta à la cour de Poitiers en 1135 est aujourd’hui perdue. De même, celle que Chrétien de Troyes a, paraît-il, écrite ne nous est pas connue. En revanche demeurent les importants fragments de Béroul, vraisemblablement composés avant 1180, et ceux de Thomas, écrits vers 1172. Il faudrait signaler aussi le lai du « Chèvrefeuille » de Marie de France, à cette même époque.
À la charnière du xiie et du xiiie siècle, Eilhart d’Oberg et Gottfried ont proposé des adaptations allemandes de la légende. Une saga norroise a ensuite été composée. Vers 1230, apparaît en France le Tristan en prose. Au fil des temps, les versions se multiplient, en Angleterre, en Italie, au Portugal... De plus en plus, des épisodes de la légende de Tristan se trouvent mêlés à celle de la Table Ronde. Il s’agit donc moins ici d’une œuvre que d’une matière légendaire, dont l’Europe tout entière s’est saisie et nourrie au cours des siècles.
Voici ce que rapporte la légende : le jeune Tristan a perdu ses parents. Il arrive à la cour de son oncle, le roi Marc. Il tue le cruel géant, Morholt, mais blessé, il accoste en Irlande où il rencontre la belle Yseult, qu’il doit reconduire auprès de son futur époux, le roi Marc. Or, par erreur, les deux jeunes gens boivent un philtre d’amour qui fait naître en eux une coupable et extrême passion. Ils sont un jour surpris par le roi. Yseult, par une ruse, parvient à se tirer d’affaire, mais Tristan doit fuir. En son exil, il épouse une femme qui ressemble à Yseult la blonde, Yseult aux blanches mains, la sœur de son ami Kaherdin.
Mais Tristan ne peut oublier Yseult la blonde. Parfois, il trouve quelque ruse pour la revoir : il se déguise en fou, ou lui envoie des messages avec des branches (cf. le lai du « Chèvrefeuille »). Un jour, il est mortellement blessé à la suite d’un combat. Kaherdin va trouver la reine, qui peut seule le guérir, et promet à Tristan d’arborer une voile blanche si elle consent à revenir. Mais Yseult aux blanches mains, jalouse, trompe Tristan, et lui annonce une voile noire : il meurt, désespéré. Quand arrive Yseult la blonde, il est trop tard, elle s’effondre sur le corps de son amant, morte.
La légende est souvent étudiée à partir de Béroul et de Thomas. C’est l’origine littéraire du mythe de Tristan et Yseult. La passion courtoise, les aventures chevaleresques, les épisodes merveilleux font la matière des deux textes.
Toutefois, la version de Béroul semble plus épique*. La narration paraît plus sèche, elle procède par épisodes discontinus et par tableaux, un peu comme dans les chansons de geste. Elle est parfois incohérente, car elle est faite de sources diverses jointes pour l’occasion. L’auteur met en valeur les contradictions de l’éthique chevaleresque, puisque Tristan est à la fois le vassal et le rival du roi.
Au contraire, la version de Thomas est plus lyrique*. Les monologues ne sont pas rares, qui développent les sentiments et la passion des deux héros. Parfois même sont débattus des problèmes de casuistique* amoureuse, dans le style de la poésie des troubadours. Thomas met en relief une éthique courtoise dont l’absolu est l’amour seul. Il évoque parfois les délits et déduits, plaisirs d’amour, de Tristan et de sa drue, sa maîtresse.
Malgré tout, le charme de l’un et l’autre texte plonge aux mêmes sources de la merveille et de la mort. Les philtres, les poisons, la nef magique, les enchantements, les déguisements, les homonymies, les ressemblances, les amitiés, les jalousies, les hasards, les signes, les symboles, la fatalité tragique enfin, tous ces ingrédients fameux ont inspiré de siècle en siècle toute la mythologie de l’amour en Occident.