En 1616, sous le pseudonyme L.B.D.D. (le bouc du désert), Agrippa d’Aubigné publie Les Tragiques, poème en sept chants, conçu pendant les haltes des combats, au milieu des carnages et du tumulte des guerres de Religion. Elles sont comme un brûlant météore dans le ciel de la France apaisée, ou presque, qui tente à cette époque de refouler les traumatismes, horreurs et injustices du passé. L’œuvre paraît sous Louis XIII, mais l’esprit qui l’anime est celui des batailles du siècle précédent.
Sept chants, vingt ans après les guerres, pour rappeler aux siècles oublieux les « Misères » (titre du livre I) qui sont un « tableau piteux du royaume en général » car, le poète déclare : Je veux peindre la France une mère affligée.
Le livre II, « Princes », est une violente satire* contre la cour, Sodome nouvelle, où Catherine de Médicis est présentée comme une sorcière, et Henri III comme « un Roi femme ou bien un homme Reine ». En la « Chambre Dorée », du livre III, la chambre de justice du parlement, des « juges mangeurs d’hommes » avalent leurs innocentes victimes, et aux deux livres suivants « Feux », et « Fers », tandis que se préparent et s’aiguisent les instruments du supplice, s’allument en même temps les bûchers où se consument, héroïques, les martyrs de la foi protestante. Mais les « Vengeances » du livre VI ne tarderont pas, non plus que le « Jugement » dernier évoqué à la fin.
Les Tragiques sont une œuvre fascinante, excessive, qui, entre tragédie et satire*, se présente comme une épopée de la foi. Le poète au verbe prophétique circule sans cesse entre ciel et terre, pour présenter à Dieu la misère des hommes, et pour prédire aux hommes le jugement de Dieu. Il met en perspective le passé des Juifs et le destin des réformés, pour réécrire une histoire universelle de la vraie foi, sans cesse persécutée. Mais l’histoire effective disparaît derrière la visée eschatologique, c’est-à-dire de la fin des temps, du Jugement dernier et de l’éternité. Pour l’heure, le temps est à la violence, au sang, et à la mort – la poésie aussi. Les vers, pleins de souffrance et de véhémence, semblent des cris de vérité. Et le poète, en son réalisme visionnaire, fait à Dieu l’offrande de ses vers baroques*, ultime hommage à la gloire tragique de ses frères chrétiens.