« Oui, né à Paris, le 18 mars 1842, dans la rue appelée aujourd’hui passage Laferrière, écrit le poète dans « Autobiographie ». J’ai perdu tout enfant, à sept ans, ma mère, adoré d’une grand-mère qui m’éleva d’abord ; puis j’ai traversé bien des pensions et lycées, d’une âme lamartinienne. » Après un séjour à Londres, où il se marie, Stéphane Mallarmé, devenu professeur d’anglais, est accablé par la routine du métier et de la famille. « Le poète las que la vie étiole » aspire à l’Idéal que recherchent ses écrits. Il publie quelques poèmes au Parnasse contemporain, et travaille à un drame lyrique*, Hérodiade, et à L’Après-midi d’un Faune.
La renommée, jusqu’alors très confidentielle, de Mallarmé éclate soudain : en 1883-1884, Verlaine et Huysmans le célèbrent dans leurs ouvrages respectifs, Les Poètes maudits et À rebours, et le révèlent au public. Il devient alors un maître pour la génération symboliste, et les mardis de la rue de Rome attirent autour de lui un public nombreux, parmi lesquels se pressent Gustave Kahn, Jules Laforgue, Maurice Barrès, Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry, et des étrangers de passage, Émile Verhaeren, Oscar Wilde... À cela seul se mesurent déjà la fortune littéraire de Mallarmé et son influence sur la littérature du xxe siècle.
Sa poésie idéaliste s’oriente de plus en plus vers l’hermétisme ; sa Prose pour des Esseintes aussi. Ses conceptions, cependant, il les développe dans ses Divagations, mais il meurt au crépuscule du siècle, n’ayant pu composer le grand Livre dont il rêvait.
Une véritable quête de l’Idéal, mieux vaudrait dire une hantise, anime les écrits de Mallarmé. Cette entreprise métaphysique* a pour but de faire naître dans le langage la notion pure et belle, dégagée de l’objet lui-même : « Je dis : une fleur ! Et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, [...] musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. » Cette haute ambition fait du poète, qui doit révéler l’Être, un médiateur de l’Absolu. La contemplation du « Cosmos, organisé sous le signe de la Beauté », telle est l’objet de toute poésie, en d’autres mots, « l’explication orphique de la Terre, qui est le seul devoir du poète, et le jeu littéraire par excellence. »
Dès lors, Mallarmé fait de la poésie non pas une pratique, mais un culte, un sacerdoce, une expérience mystique, à laquelle se hausse la pensée, « Au risque de tomber pendant l’éternité. » Du reste, la menace du néant, dont il ressent les angoisses nocturnes, accable le poète : « Où fuir dans la révolte inutile et perverse ?/ Je suis hanté. L’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! l’Azur ! » De toute manière, la finitude de l’homme condamne à l’échec cette quête impossible de l’Infini. Qu’importe, dit le poète, « je chanterai en désespéré ».
Il s’agit malgré tout d’exalter cet Idéal dans la Beauté d’un Livre. D’ailleurs, « le monde est fait pour aboutir à un beau livre ». « J’irai plus loin, je dirai : le Livre, persuadé qu’au fond il n’y en a qu’un, tenté à son insu par quiconque a écrit, même les Génies. » À défaut de pouvoir l’écrire entièrement, Mallarmé entend du moins « prouver par les portions faites que ce livre existe, et que [il a] connu ce qu’ [il n’aura] pu accomplir ». De toutes façons, sans lecteur, et même sans auteur, en idée, et en fait, existe ce livre : « Il a lieu tout seul. »
Expérience des limites, la quête métaphysique* de Mallarmé débouche sur une quête linguistique, pour trouver les mots qui conviennent à la poésie pure dont il rêve. Quelques influences apparaissent dans ses œuvres : ce goût de la perfection formelle le rattache au Parnasse*, la musique des vers fait penser à Verlaine, le thème de l’Idéal renvoie à Baudelaire. Mais la démarche de Mallarmé semble plus radicale que celle de ses prédécesseurs. Sachant d’avance « les langues imparfaites, en cela que plusieurs, manque la suprême », le poète tente de se dégager de la langue vulgaire pour « donner un sens plus pur aux mots de la tribu ». Ainsi, « l’œuvre pure implique la disparition élocutoire du poète, qui cède l’initiative aux mots », pour signifier évidemment la plénitude absolue et suffisante du langage, pour conjurer, peut-être, l’angoisse de la mort.
Ce langage sacré demande quelque précaution : « Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s’enveloppe de mystère. Les religions se retranchent à l’abri d’arcanes dévoilés au seul prédestiné : l’art a les siens. » Cette exigence de mystère, qui fait l’essence même de la poésie, explique l’hermétisme du style de Mallarmé : « Le sens trop précis rature/ Ta vague littérature. » L’ellipse ou la périphrase, l’inversion, la dislocation, les mots rares ou énigmatiques, les sonorités singulières, donnent à ses vers un tour oraculaire et incantatoire, au bord de l’évanescence spirituelle, à l’instar de cet « Aboli bibelot d’inanité sonore » du « Sonnet en -yx », où le miroir « se fixe/ De scintillations sitôt le septuor. »