« On déclame sans fin contre les passions ; on leur impute toutes les peines de l’homme, se plaint Diderot dans ses Pensées philosophiques, et l’on oublie qu’elles sont aussi la source de tous les plaisirs. » Et le moraliste Vauvenargues de renchérir : « Les grandes pensées viennent du cœur ». Il s’agit donc, en ce siècle des Lumières de réconcilier la passion et la raison, le cœur et l’esprit. Mais la chose paraît bien difficile dans Les Égarements du cœur et de l’esprit de Crébillon, et le héros de La Nouvelle Héloïse affirme « que c’est un fatal présent qu’une âme sensible » pour un homme, car « son cœur et sa raison seront incessamment en guerre, et ses désirs sans bornes lui prépareront d’éternelles privations ». En outre, l’amour demeure souvent une passion fatale, comme dans l’histoire de Manon Lescaut, racontée par Prévost.
Au théâtre cependant, l’amour paraît plus souriant, et plus heureux. C’est le sujet principal des comédies de Marivaux, de La Surprise de l’Amour au Triomphe de l’Amour. Ce dramaturge révèle les hasards et les jeux, les constantes et les inconstances du sentiment. Le théâtre de Beaumarchais, lui aussi, met en scène les efforts de l’amour contrarié dans Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. Mis en péril par les obstacles que lui opposent des fâcheux, l’amour réussit, à force de ruse et de finesse, à vaincre ses adversaires, « et tout finit par des chansons ».
Ce siècle de culture raffinée se découvre une passion profonde pour la nature. Une nature non point abstraite, ou philosophique, comme elle pouvait l’être souvent à l’époque classique, mais une nature vivante, de lumière et de forêts. Certes, les naturalistes, comme Buffon, ou les philosophes, comme le Hollandais Spinoza, étudient la nature, mais il s’agit cette fois de l’aimer, de s’y plaire, de s’y abandonner. Les natures mortes, celles du peintre Chardin par exemple, mais surtout les paysages animés, tourmentés parfois, les marines et autres compositions pastorales* de Vernet, Robert, Fragonard, Valenciennes ou Loutherbourg, beaucoup plus qu’une mode éphémère, sont un signe des temps, une transformation radicale du sentiment qui unit l’homme au monde qui l’entoure.
La nature est sans aucun doute le thème dominant de l’œuvre de Rousseau. Il aime à s’imaginer ce que pouvait être l’état de nature à l’origine. Dans l’Émile, il prétend donner au jeune homme une éducation conforme à la nature. La Nouvelle Héloïse peint les charmes des montagnes et des lacs. Mais surtout, dans Les Rêveries du promeneur solitaire, la nature est le lieu privilégié où l’homme coïncide avec son âme, son repos et son bonheur. Cette impression se prolonge encore dans les Études de la Nature et Harmonies de la Nature de Bernardin de Saint-Pierre.
Mais on demande des sensations nouvelles. La renaissance de la poésie vers la fin du siècle, qui cultive bien souvent le goût de la nature, accorde une place importante à un sentiment plus rare en ce siècle : la mélancolie : « Viens, je me livre à toi, tendre mélancolie », soupire l’abbé Delille dans Les Jardins ou l’art d’embellir les paysages, et André Chénier chante également, dans ses Élégies*, cette « Douce mélancolie ! aimable mensongère ! » Mme Rolland va même jusqu’à en faire l’apologie dans son essai De la mélancolie : « La douce mélancolie que je défends n’est jamais triste. » Quant à Diderot, il évoque « le spleen ou les vapeurs anglaises », une sorte de tristesse « originale », appelée à une grande fortune au siècle suivant, avec Baudelaire.
Diderot surtout, âme sensible s’il en fut, marque un tournant dans la sensibilité, lui qui affirme le primat du génie sur le goût. Pour lui, « la poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare et de sauvage ». Une des grandes nouveautés du siècle, c’est aussi le goût des ruines, et parfois le retour à un certain néo-classsicisme, favorisé par les récentes découvertes archéologiques à Herculanum et à Pompéi. Diderot les considère en frémissant. Chénier se remet à l’école des Anciens, et Volney rédige un essai sur Les Ruines.
Mais on demande des sensations encore plus fortes. Les doctrines occultes, le spiritisme et l’illuminisme, inspirent la grande vogue du fantastique* au siècle suivant, et pour l’heure, le roman de Cazotte, Le Diable amoureux. Le libertinage offre aussi des sensations extrêmes : Crébillon, Diderot, Choderlos de Laclos, et Sade pour les plus audacieux, savent les prodiguer.