Le plus populaire des genres littéraires aujourd’hui n’en est pas moins le plus difficile à définir. Sa nature libre et protéiforme* fait les délices des auteurs et le désespoir des critiques. Deux approches complémentaires doivent être combinées pour étudier le roman : la synthèse théorique et l’analyse historique. Le roman peut être défini sommairement comme une longue narration en prose, trois traits caractéristiques qui le distinguent notamment de la nouvelle, qui, elle, est brève, du théâtre, qui consiste en discours, ou de l’épopée, écrite en vers.
Mais aussitôt, il convient de nuancer le propos, en considérant l’histoire de ce genre. Aux origines, le roman, par rapport au latin, désigne dans la France médiévale la langue communément parlée, puis par extension, les récits héroïques écrits dans cette langue. Or ces premiers romans étaient en vers. Par ailleurs, le roman contemporain, en déconstruisant la notion d’intrigue romanesque*, se présente de moins en moins comme une narration véritable. Enfin, la longueur est un indice imprécis, et tout à fait relatif. Partant, ces trois critères proposés ne sont pas totalement satisfaisants puisque l’histoire a vu naître des romans assez brefs, écrits sans véritable narration, ou encore en vers. Mais le roman échappe, il est vrai, à toutes les tentatives de définition absolue. Celle-là, en tout cas, suffit pour le moment. Toutefois, pour compléter l’analyse, il faudrait présenter les éléments constituants du roman.
Les éléments constituants du roman
Le récit, compte-rendu de faits passés, peut à bon droit passer pour l’ingrédient principal du roman. Son développement est régi selon un point de vue particulier, la focalisation, qui peut, bien sûr, évoluer en cours de route ( cf. notamment le roman épistolaire* ) :
Alors que le récit relève de la diegesis (la narration), la description relève de la mimesis (la représentation). Elle interrompt le flux du récit, et propose une pause. La description est à l’espace ce que le récit est au temps. Là encore se pose la question du point de vue adopté. Bien souvent, la focalisation varie, et parfois, la description se fond dans le récit. La description peut avoir une fonction esthétique, si elle sert à l’embellissement du récit, symbolique, si elle contient un sens caché, diégétique, si elle participe à l’évolution du récit. Il est à noter que la description a envahi le Nouveau Roman, qui cède, pour ainsi dire, l’initiative aux choses.
Le discours est une prise de parole effective. Selon le linguiste Émile Benveniste, il est reconnaissable à ces trois indices de personne, d’espace et de temps : je, ici, maintenant, alors que le récit passe par la médiation du il, là-bas, autrefois. Là encore, il s’agit de repères généraux, susceptibles de combinaisons dans le roman. Le discours émane d’un locuteur précis, qui peut être l’auteur, dans sa préface par exemple, le narrateur, par ses commentaires ou intrusions, ou un personnage donné. Dans ce cas précis, ses propos sont exprimés de manière plus ou moins directe :
Parmi les divers types de discours, il faut encore distinguer :
Il reste désormais à présenter les divers types de romans existants. L’exposé est forcément lacunaire, et le classement, arbitraire. Mais il s’agit du moins d’ordonner les œuvres majeures du genre romanesque.
Le roman romanesque*, qui relate des aventures héroïques ou amoureuses, remonte à la double tradition médiévale de la chevalerie et de la courtoisie. Le modèle du genre est bien sûr le roman de Tristan et Yseult, qui combine habilement les amours et les exploits. Cette tradition se poursuit dans les siècles suivants avec le fameux Amadis de Gaule (1540), adapté d’un roman espagnol par Nicolas Herberay des Essarts, puis avec L’Astrée, le chef-d’œuvre héroïque et précieux d’Honoré d’Urfé, dont les quelque cinq mille pages paraissent entre 1607 et 1627, et encore avec l’histoire de Manon Lescaut (1731), par l’abbé Prévost, La Nouvelle Héloïse (1761) de Rousseau ou encore Paul et Virginie (1788) de Bernardin de Saint-Pierre.
Le romanesque est sans doute sinon l’essence, du moins la préférence et la tentation ordinaires du roman ; il se déploie avec succès au xixe siècle, âge d’or du roman en général :
Si le roman romanesque triomphe au xixe siècle, s’il produit encore des chefs-d’œuvre aujourd’hui, que l’on songe seulement à Alain-Fournier, Jean Giono, Albert Cohen, Julien Gracq ou Michel Tournier, il n’en a pas moins été sévèrement contesté par le Nouveau Roman. C’est précisément contre les facilités du romanesque, de l’intrigue, des aventures et des héros que s’inscrivent Nathalie Sarraute, Alain Robbe-Grillet, Michel Butor et Claude Simon. L’ère du soupçon, pour reprendre un titre de Sarraute, pèse désormais sur le roman en général.
L’aventure, discontinue dans La Route des Flandres de Claude Simon, et quasiment absente dans Les Fruits d’or de Nathalie Sarraute, cède le pas aux objets et au réel envahissants, chez Alain Robbe-Grillet et Michel Butor. Le roman et le romanesque sont ainsi déconstruits. On passe ainsi, comme le remarque fort justement Jean Ricardou, critique et romancier, du récit d’une aventure à l’aventure d’un récit.
À vrai dire, ce n’est pas d’aujourd’hui que date la remise en cause du roman et du romanesque*. Dès le début, pratiquement, le roman romanesque a été parodié, et donc critiqué, mais moins dans sa forme, sans doute, que dans son contenu. Au Moyen Âge, le Roman de Renart est une remarquable parodie des romans courtois et chevaleresques, dont il subvertit les valeurs. Les soi-disant héros mis en scène, sont de grands seigneurs plus félons et paillards que braves ou galants. Au xvie siècle, la geste pantagruélique de Rabelais est aussi une imitation ironique du romanesque médiéval, où le Saint Graal devient de la moutarde, et dont le fin mot réside dans la Dive Bouteille.
Dans la même veine, il faut bien sûr évoquer le romancier espagnol, Miguel de Cervantès et son truculent Don Quichotte, qui a rêvé de héros romanesques, et notamment ce fameux Amadis, à la hauteur desquels, il tente, pitoyable, de se hausser. Le développement en Espagne de la veine picaresque*, qui met en scène des aventures de gueux cyniques ou sympathiques, les picaros, à l’instar de Lazarillo de Tormes, héros éponyme* d’un roman anonyme, favorise en France, au xviie siècle, l’émergence du burlesque. Le Roman comique de Scarron en est un bon exemple, ou encore son Virgile travesti, dans lequel la reine Didon devient la grosse Dodon. Pareillement, Antoine Furetière publie une Énéide travestie, et un Roman bourgeois, qui se présente véritablement comme un anti-roman.
Une autre forme de parodie romanesque est explorée par les libertins*. Cyrano de Bergerac (1619-1655) écrit L’Autre Monde ou les États et Empires de la Lune et du Soleil, voyage fantaisiste, science-fiction drolatique et extravagante, et Bussy Rabutin (1618-1693), imite le Satyricon de l’auteur latin Pétrone, pour évoquer, dans son Histoire amoureuse des Gaules, la chronique scandaleuse des mœurs de la noblesse. Mais le véritable roman libertin* se développe surtout au xviiie siècle. Les héros qu’il met en scène se moquent des aventures tendres et courtoises, et poussés par une ironie bien souvent cynique, s’abandonnent, aux délices du désir, de la chair et de la perversité. De ce genre participent Les Bijoux indiscrets de Diderot, les romans de Crébillon fils, Le Paysan perverti et La Paysanne pervertie de Rétif de La Bretonne, Les Liaisons dangereuses de Laclos et les romans de Sade en général.
D’une manière ou d’une autre, tous ces romans critiquent les valeurs éthiques et esthétiques qui fondent le romanesque.