Avec Atala, dont il est pour ainsi dire la suite, René forme une sorte de diptyque détaché des Natchez, pour être inséré dans Le Génie du christianisme. Mais le succès des deux œuvres, et surtout de René, pousse Chateaubriand, dès 1805, à les publier ensemble, dans un volume à part.
Après le récit de Chactas dans Atala, le jeune René raconte au vieil Indien sa propre histoire. Après une enfance rêveuse, il a promené sa mélancolie en Italie, en Grèce, en Angleterre. Mais le tourment qui le ronge le torture encore. Sa sœur, secrètement amoureuse de lui, préfère se retirer dans un couvent. Désespéré, René part pour l’Amérique d’où il apprend la fin de sa tendre Amélie, morte en sainte. Il se retrouve donc « sans parents, sans amis, pour ainsi dire seul sur la terre ». Mais un missionnaire l’exhorte à dépasser cette inquiétude perpétuelle, qui fut sa vie : « Je vois un jeune homme entêté de chimères, à qui tout déplaît, et qui s’est soustrait aux charges de la société pour se livrer à d’inutiles rêveries. On n’est point, monsieur, un homme supérieur parce qu’on aperçoit le monde sous un jour odieux. On ne hait les hommes et la vie que faute de voir assez loin [...] La solitude est mauvaise à celui qui n’y vit pas avec Dieu ; elle redouble les puissances de l’âme en même temps qu’elle leur ôte tout sujet pour s’exercer. »
Le sujet du récit réside tout entier dans la description lyrique* de la mélancolie du héros, dont le caractère autobiographique est assez sensible. La beauté du style supplée heureusement à l’absence d’intrigue véritable. René s’abîme ici dans une délectation morose, l’amère jouissance d’une existence désenchantée. L’auteur met en évidence le « vague des passions », désormais sans emploi dans un monde en déréliction*, pour engager à la foi chrétienne. Mais loin de guérir cette mélancolie, il l’a mise à la mode. Ce poison qui coulait déjà dans Les Rêveries de Rousseau et dans le roman allemand de Goethe, Les Souffrances du jeune Werther, trouve ici une force nouvelle : « le mal du siècle » qui ronge l’Adolphe de Benjamin Constant, Les Confessions d’un enfant du siècle de Musset, et prend chez Baudelaire la forme du spleen, deviendra, malgré Chateaubriand, le caractère distinctif du héros romantique.