René Char fait ses débuts en poésie sous le signe du surréalisme. Il rencontre Eluard et Aragon avec qui il compose en 1930 Ralentir travaux, écrit d’une voix unanime. Quatre ans plus tard, il publie Le Marteau sans maître, et s’éloigne quelque peu du surréalisme, car aux acrobaties virtuoses et parfois gratuites, il préfère en profondeur une poésie réellement signifiante. D’ailleurs, les événements de la guerre civile espagnole lui donnent l’occasion de s’engager « contre la persécution et l’horreur » dans le Placard pour un chemin des écoliers (1937).
Après la débâcle de 1940, il entre aussitôt dans la Résistance, et devient chef de maquis. Il fait ainsi l’expérience douloureuse et glorieuse de la fraternité dans le combat. Sa poésie transformée répond désormais à une exigence de vie, et isolé dans sa retraite de L’Isle-sur-Sorgue, il publie de nombreux recueils dont Fureur et Mystère (1948), Les Matinaux (1950), Recherche de la base et du sommet (1955), La Parole en archipel (1962), Commune Présence (1964).
Pour quoi la poésie ? Pour combattre les forces destructrices, qui vouent l’homme au malheur et à la déchéance. Pour promouvoir les valeurs optimistes, mais escarpées, de l’espoir et du courage : « Déborder l’économie de la création, agrandir le sang des gestes, devoir de toute lumière », telle est en somme la vocation poétique de René Char. Refusant les marais du désespoir, il prétend habiter le silence et l’absence, et repeupler de mots, parfois perplexes, un monde dévasté. « Notre parole, en archipel, vous offre, après la douleur et le désespoir, des fraises qu’elle rapporte des landes de la mort, ainsi que ses doigts chauds de les avoir cherchés. »
Cette sagesse profonde qu’il recherche emprunte des voies souvent contradictoires car, reprenant en cela la pensée du philosophe grec Héraclite, il affirme : « les contraires se fondent en unité ». Dès lors la poésie doit explorer la base et le sommet, la chair et l’esprit, la clarté et les ténèbres, d’où ce style tour à tour lumineux ou hermétique*. C’est l’éclair dans la nuit étoilée : « l’éclair me dure », dit le poète, et « mon métier est un métier de pointe », dans tous les sens du terme. Son langage elliptique, volontiers aphoristique ou fragmentaire, qui traduit la violence et le vertige d’un monde divisé, atteint cependant à une densité oraculaire. « Gardez-nous la primevère et le destin. »