La préciosité dont se moque Molière est un courant qui traverse les lettres et les mœurs de toute l’Europe au début de ce siècle, qui devient le marinisme en Italie, le cultisme en Espagne ou l’euphuisme en Angleterre. C’est un langage aristocratique et raffiné, un code éthique et culturel qui se fonde sur la délicatesse et sur la distinction. Elle fleurit dans les salons, et les femmes y trouvent mieux qu’un divertissement : une exaltation nouvelle. On relit avec bonheur les pages gracieuses du roman d’Honoré d’Urfé, L’Astrée, on s’enthousiasme en rêvant aux aventures chevalesques du grand Cyrus, le héros de Madeleine de Scudéry.
Dans cette pièce en prose et en un acte, deux cousines, Magdelon et Cathos, refusent avec dédain les propositions de jeunes seigneurs, Du Croisy et La Grange, trop communs à leur gré. Pour se venger, La Grange transforme son valet Mascarille en marquis à la mode, et l’envoie auprès de ces demoiselles. Les sottes galanteries de Mascarille, l’amphigouri de son langage, les splendeurs gratuites qu’il évoque, son ami, le vicomte de Jodelet, leurs exploits héroïques, aussi chimériques que bouffons, transportent d’enthousiasme nos deux précieuses. Mais surviennent La Grange et Du Croisy, qui démasquent l’insolence des laquais et la bêtise des jeunes filles, confondues.
La pièce est une comédie de mœurs. Mais il ne faudrait surtout pas réduire les précieuses à l’image caricaturale qu’en donne Molière. Celles qu’il met en scène sont des précieuses attardées, aussi hautaines que sottes. Ces bourgeoises provinciales trouvent ces deux seigneurs peu dignes de leur qualité. Elles se flattent de finesses qui, en fait, leur échappent totalement, et il n’est pas difficile de les duper. Georgibus, père de l’une, oncle de l’autre, au désespoir de pouvoir les placer, leur donne le choix entre le mariage et le couvent, et à la fin, il maudit tous ces « romans, vers, chansons », car il représente le bon sens bourgeois face aux sophistications aristocratiques.
Mais cette comédie en prose est aussi une farce. Molière, en jouant Mascarille, chargeait les effets grotesques. La diction affectée, les gestes démesurés sont à imaginer ou à réinventer. La plaisanterie grossière, l’enflure du style, la ruse des maîtres, le déguisement des valets, la bêtise des jeunes filles, les coups de bâton de la fin, sont autant d’ingrédients ordinaires de la farce.