Le poème en vers est la forme traditionnelle de la poésie. Il répond alors aux règles précises de la versification. Les caractéristiques principales du vers français sont sa longueur et son rythme qu’étudient respectivement la métrique et la prosodie. L’unité minimale est la syllabe, et le décompte des syllabes détermine la nature du vers.
Les mètres pairs sont les plus fréquents. L’octosyllabe, le vers de huit syllabes, est le grand vers du Moyen Âge.
Conformément à la règle, il faut prendre en compte le [e] atone, inaccentué, devant consonne, ici, par exemple, la syllabe 6, et négliger le [e] final ; les accents tombent sur les syllabes 4 et 8, et produisent une joyeuse symétrie, rythmique et harmonieuse.
Au xvie siècle, le vers dominant est le décasyllabe.
Le rythme du décasylabe est régulièrement déterminé par la coupe, ou césure, qui suit la syllabe 4. De ce fait, sont accentuées les syllabes 4, 6 et 10. En l’occurrence, le rythme met en relief les deux mots-clés antithétiques, « Mort » et « jour », que rapprochent cependant les riches sonorités du [r], qui traverse en allitération tout le décasyllabe, dont il assure l’unité harmonique.
Toutefois, le développement de la tragédie renaissante favorise l’emploi de l’alexandrin, qui s’impose progressivement, jusqu’à devenir le vers noble par excellence de la poésie française. Dans la tragédie d’Aman, Montchrestien écrit par exemple
L’alexandrin, vers issu du Roman d’Alexandre, au Moyen Âge, est un tétramètre dodécasyllabique, c’est-à-dire qu’il compte douze syllabes et quatre accents, dont un, obligatoirement sur la syllabe 6, juste avant la césure, qui sépare le vers en deux hémistiches. En l’occurrence, sont accentuées les syllabes 3, 6, 8 et 12.
Rarement, les auteurs utilisent l’alexandrin ternaire, qui compte trois accents, comme dans ce vers de Corneille, « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. » Ce vers, sous le nom de trimètre romantique, est plus volontiers pratiqué par les poètes du xixe siècle. Ainsi, Hugo écrit dans Les Chants du crépuscule ce vers dont le rythme véhément traduit l’ardeur du poète.
Mais les auteurs ont parfois utilisé le vers impair. La Fontaine, par exemple, et Victor Hugo. Verlaine le trouve même préférable. Dans son « Art poétique », il écrit en effet : « De la musique avant toute chose/ Et pour cela préfère l’Impair/ Plus vague et plus soluble dans l’air/ Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »
La versification s’intéresse aussi aux rimes. La rime est le retour d’un même son à la fin de deux vers. Selon qu’il y ait en commun un phonème, deux, trois ou davantage, la rime est dite pauvre, suffisante, riche ou léonine. Par exemple, heureux et joyeux forment une rime pauvre ; amour et toujours sont une rime tout juste suffisante ; délices et supplices constituent une rime riche ; errance et espérance, une rime léonine. La rime est dite féminine, si elle se termine par un [e] atone, comme dans délices/supplices, et masculine, dans tous les autres cas, heureux/joyeux, par exemple. Parfois, une rime intérieure prolonge la sonorité finale du vers précédent. Ainsi des danseurs au « Clair de lune » de Verlaine :
Tout en chantant sur le mode mineur
L’amour vainqueur et la vie opportune
Lorsque la rime arrive au vers suivant, elle est dite plate ou suivie, dans la mesure où elle obéit au schéma a-a, b-b, c-c. Les rimes sont dites croisées lorsqu’elles répondent au schéma abab, et embrassées, lorsqu’elles ont la forme abba. La rime permet maints autres jeux. Jean Molinet, grand rhétoriqueur*, pratique la rime enchaînée :
Trop durement mon cueur souspire,
Pire mal sent que desconfort
Confort le fait...
Marot pratique la rime équivoquée :
Si vous supply qu’à ce jeune rithmeur
Faciez avoir un jour par sa rithme heur
Vers et prose en poésie ne sont pas incompatibles. Ils se mêlent harmonieusement au Moyen Âge, notamment dans la poésie des grands rhétoriqueurs*, formant le prosimètre, dont use Jean Lemaire de Belges, par exemple, dans sa Concorde des deux langages. Longtemps opposés, ils tendent à se rejoindre au cours de l’histoire de la littérature française.
Les prosateurs, souvent, incidemment, intègrent à leurs textes des vers, appelés vers blancs, ayant éventuellement une syllabe de trop (hypermètres) ou en moins (hypomètres), qui se fondent dans l’ensemble, et le rendent discrètement plus harmonieux. Ainsi, cette phrase de Marie Arnoux dans L’Éducation sentimentale :
« vos parol(es) me revien(nent) / comme un écho lointain,
1 2 3 4 5 6 / 7 8 9 10 11 12
comme le son d’un(e) cloch(e),/ apporté par le vent ».
1 2 3 4 5 6 / 7 8 9 10 11 12
Ou alors, les auteurs, comme Fénelon et Rousseau, tentent de mettre au point une prose poétique, rythmée et harmonieuse, qui ait la forme de la prose et le charme des vers. Le verbe enchanteur de Chateaubriand se déploie de la sorte : « au loin, par intervalles, on entendait les sourds mugissements de la cataracte du Niagara, qui, dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert et expiraient à travers les forêts solitaires ».
À l’inverse, les poètes ont voulu libérér la poésie des contraintes du vers régulier, se rapprochant ainsi dangereusement et joyeusement de la prose. Le vers libre, sans rimes ni mesure fixe, est pratiqué dès la fin du xixe siècle, et célébré par les vers-libristes, tels René Ghil, Gustave Kahn ou Francis Vielé-Griffin. Et bientôt, Claudel élabore un vers nouveau, à mi-chemin entre le vers libre et le verset biblique. Allant plus loin encore, Aloysus Bertrand, avec Gaspard de la nuit, dès 1842, invente en France le poème en prose, suivi par Baudelaire dans ses Petits Poëmes en prose, par Rimbaud dans ses Illuminations, et au xxe siècle, entre de nombreux autres, par Reverdy dans ses Poèmes en prose et Ponge, qui veut même écrire des poèmes en prose qui soient des « poèmes choses ». Le poème en prose est un texte en prose, généralement bref, dont la poéticité, c’est-à-dire l’essence poétique, est assurée non par la versification, mais par les images, les descriptions, le style volontiers discontinu, âpre ou sublime. L’écriture automatique des surréalistes en est un prolongement remarquable.
La poésie s’est souvent développée selon des formes fixes. Au Moyen Âge, les formes les plus caractéristiques sont :
À partir du xvie siècle, les formes les plus fréquentes, souvent inspirées de la poésie grecque, latine ou italienne, sont :
Mais la poésie contemporaine se développe le plus souvent en dehors de ces cadres.
La tradition épique* française s’inspire largement des chefs d’œuvre antiques, L’Iliade et L’Odyssée du poète grec Homère, et L’Énéide du poète latin Virgile. Au xiie siècle, paraissent Enéas et le Roman de Troie, en vers octosyllabiques. Au xvie siècle, Ronsard, par sa Franciade, tente de poursuivre l’œuvre de Virgile, pour expliquer les mythiques origines troyennes de la monarchie française. Au xviie siècle, on s’inspire encore des Anciens, ne serait-ce que pour les parodier, comme Scarron dans son Virgile travesti.
Mais l’épopée française s’inspire aussi de l’histoire nationale. Sous la forme de la chanson de geste*, elle célèbre des rois ou des héros glorieux, Charlemagne, Saint Louis, Garin de Monglane, et donne parfois lieu à de véritables cycles épiques*. Parmi les œuvres les plus célèbres, citons La Chanson de Roland, écrite au xie siècle en laisses* assonancées (strophes de la poésie médiévale, ayant pour principe l’assonance, et non la rime), Le Couronnement de Louis et La Prise d’Orange au xiie siècle, Huon de Bordeaux au xiiie siècle, Clovis de Desmarets de Saint-Sorlin, Saint Louis de Le Moyne au xviie siècle, La Henriade de Voltaire, au xviiie siècle.
Parfois, l’épopée traite une matière religieuse, d’ailleurs, au Moyen Âge, l’ennemi par excellence, c’est le camp des Sarrasins, qui se retrouvent dès La Chanson de Roland. Mais l’épopée se fait véritablement chrétienne dans La Chanson de Jérusalem (qui inspire au xve siècle La Jérusalem délivrée du Tasse, poète italien), dans La Chanson de la croisade albigeoise, et au xviie siècle, dans le Moyse sauvé de Saint-Amant et La Pucelle de Chapelain.
Mais ce genre, longtemps considéré comme le plus noble, tombe en décadence, parodié par Rabelais, dans sa geste pantagruélique, puis par Boileau dans son Lutrin. Il semblerait condamné s’il n’avait trouvé dans les espaces intergalactiques que lui propose la science-fiction, peut-être, un second souffle.
À l’origine, accompagnée de lyre, de flûte, ou de tout autre gracieux instrument de musique, la poésie lyrique* se veut l’expression de sentiments intimes, propres à susciter l’émotion du lecteur.
Au Moyen Âge, elle éclôt dans les pays de langue d’oc, avant de se répandre dans le nord de la France. Dans la forme privilégiée de la canso, la lyrique* occitane cultive l’éthique de l’amour courtois, qui fait du poète troubadour l’amant de la dame, maîtresse et souveraine de son cœur charmé. La floraison lyrique* voit surgir, entre autres poètes, Guillaume de Poitiers, Bernard de Ventadour, Thibaut de Champagne, Rutebeuf aux xiie et xiiie siècles, Guillaume de Machaut et Christine de Pisan au xive siècle, Charles d’Orléans et François Villon au xve siècle.
Au xvie siècle, la poésie lyrique* trouve dans le vivier lyonnais des ressources nouvelles. Maurice Scève, Pernette du Guillet, Louise Labé chantent l’amour, ses plaisirs, et surtout ses douleurs. Avec la Brigade, devenue la Pléiade le lyrisme triomphe : Amours de Ronsard, Amours de Baïf, Amours de Belleau, Erreurs amoureuses de Pontus de Tyard, et même L’Amour des amours de Peletier du Mans. On s’inspire du Canzoniere amoureux du poète italien Pétrarque, et de ses nombreux imitateurs. Olivier de Magny se livre aux Soupirs, Du Bellay chante son Olive, et Grévin son Olympe.
Vers la fin du siècle, puis au xviie siècle, la poésie prend une tournure maniériste ou baroque*. Si la poésie amoureuse demeure prépondérante, avec Philippe Desportes, Marc Papillon de Lasphrise, Siméon-Guillaume de La Roque, Théophile de Viau, Tristan L’Hermite et Saint-Amant, la poésie religieuse trouve à s’exprimer par le lyrisme des vers de Jean de Sponde, Jean-Baptiste Chassignet, Agrippa d’Aubigné et Jean de La Ceppède. Mais la réforme poétique demandée par Malherbe, à l’aube du siècle classique, tend à maîtriser, sinon à contenir l’inspiration lyrique*. Maynard, Racan se mettent à son école, puis Guillaume Colletet. Bientôt, le lyrisme prend un tour mondain et galant avec Vincent Voiture, et de plus en plus familier, voire ironique
Il faut attendre la deuxième moitié du xviiie siècle, pour voir renaître l’inspiration lyrique*, si bien maîtrisée qu’elle faillit en étouffer parmi les classiques, puis avec les Lumières. Léonard, Bertin, Parny, Delille, et surtout André Chénier, font revivre en France la sensibilité lyrique*, et annoncent en cela le romantisme à venir.
Au xixe siècle, le romantisme consacre la poésie lyrique*, présentée quasiment comme l’essence de la poésie, de la littérature, et parfois même, de l’art. Autour du poète, dès lors, se crée une mystique, que Victor Hugo, parmi d’autres, saura entretenir, valorisant l’inspiration divine et la fonction médiatrice du poète voyant, prophète, et – pourquoi non ? – messie. En 1820, les Méditations poétiques de Lamartine engagent le lyrisme nouveau dans la voie de l’intimisme et de la grandeur à la fois. Les continuateurs sont nombreux et divers, plus sombres, comme Vigny, plus ironiques, comme Musset, plus tristes, comme Marceline Desbordes-Valmore, plus indépendants, comme Gautier, ou plus rêveurs comme Nerval.
Dans la seconde moitié du siècle, la poésie lyrique* paraît plus tourmentée et plus désenchantée. Baudelaire sombre dans le spleen, Verlaine, dans le remords, Rimbaud, dans les enfers. La poésie du Parnasse* va même jusqu’à refuser le lyrisme, qui subsiste cependant, mais de manière discrète ou contrainte, dans les vers de Banville, Leconte de Lisle, Sully Prudhomme et Heredia. Toutefois, dans les courants symbolistes ou décadents, le lyrisme retrouve quelque peu sa nécessaire vocation affective et spirituelle, notamment chez Laforgue et Mallarmé.
Le lyrisme est une grande tendance de la poésie du xxe siècle ; les voies sont extrêmement diverses : lyrisme néo-romantique d’Anna de Noailles et de Paul Fort, lyrisme chrétien de Charles Péguy et Paul Claudel, lyrisme fantaisiste de Paul-Jean Toulet et Guillaume Apollinaire, lyrisme quasi baroque* de Max Jacob et Blaise Cendrars, lyrisme unanimiste de Jules Romains et Émile Verhaeren, lyrisme surréaliste de Paul Éluard et André Breton, lyrisme nègre de Léopold Sédar Senghor et Aimé Césaire.
Mais fréquemment, le lyrisme pratiqué se refuse manifestement à l’épanchement du moi, comme chez René Char, Paul Valéry, Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet et André du Bouchet. Même, se développe un courant anti-lyrique* qui triomphe avec Francis Ponge, Jean Tardieu, et les adeptes logiciens de l’OULIPO que sont Queneau, Isou ou Roubaud.
Aujourd’hui, reste à savoir si la crise du lyrisme sonne le glas de la poésie contemporaine, dont la mort est régulièrement annoncée tous les dix ans par des prophètes de toutes sortes, ou si au contraire elle est le prélude à un renouveau dont les premiers signes apparaissent déjà nettement aux plus lucides.
La poésie didactique se propose de dispenser un savoir, qu’il soit de nature religieuse, morale, philosophique, scientifique ou littéraire. Elle fleurit au Moyen Âge, et produit des œuvres très diverses, à vocation morale. Ainsi, les miracles et les exempla sont des récits courts et édifiants, souvent en octosyllabes. Dans une large mesure, les poèmes allégoriques comme Le Roman de la Rose, les vies de saints qui constituent les poèmes hagiographiques, les recherches encyclopédiques qui remplissent les Sommes et Miroirs, répondent à la même exigence d’enseignement moral.
À partir du xvie siècle, la poésie didactique prend un tour plus volontiers philosophique, cosmologique ou scientifique que proprement moral. Elle inspire La Semaine de Du Bartas, le Microcosme de Scève, les Hymnes de Ronsard, Les Météores de Baïf, le Discours à Mme de La Sablière dans les Fables de La Fontaine, l’Épître à Mme du Châtelet sur la philosophie de Newton écrite par Voltaire. Mais le genre tend à s’essouffler. Il semble que la poésie n’ait plus rien à enseigner, sinon elle-même, témoins les arts poétiques de Boileau, Gautier, Verlaine ou Queneau.
La poésie satirique, suivant la tradition des poètes latins Horace et Juvénal, se veut libre et familière, critiquant volontiers les mœurs de ses contemporains. Au Moyen Âge, elle prospère avec les fabliaux, qui sont des récits brefs en octosyllabes, plaisants ou édifiants, qui se jouent des personnages représentés, bourgeois cocus, dames infidèles, moines stupides ou paillards. Dans cette même veine satirique, il faut encore mentionner Renart le Bestourné de Rutebeuf, le Roman de Renart et maints poèmes de Villon.
Au xvie siècle, Marot, emprisonné au Châtelet pour avoir mangé du lard en carême, publie une satire* allégorique intitulée « L’Enfer ». Au xviie siècle, Régnier et Boileau cultivent le genre avec brio, et la veine satirique se prolonge dans les Fables de La Fontaine et, au xviiie siècle, dans celles de Florian. Au xixe siècle, Musset publie « Dupont et Durand », chef-d’œuvre d’ironie caustique, et Victor Hugo, dans Les Châtiments, vilipende Napoléon III. Au xxe siècle, quelques poètes, parmi lesquels il faut citer Raymond Queneau et Jacques Prévert, adoptent aussi le ton de la satire*.