Après une enfance passée en Champagne, Paul Claudel s’établit à Paris. Le milieu intellectuel bourgeois et universitaire lui semble un « bagne matérialiste ». Il tombe bientôt « dans un état de désespoir ». À dix-huit ans, il découvre Rimbaud, qui exerce sur lui une action « séminale et paternelle », et lui donne pour la première fois « l’impression vivante et presque physique du surnaturel ». Six mois plus tard, le 25 décembre 1886, il connaît une seconde illumination, à Notre-Dame, aux accents du Magnificat : « En un instant, mon cœur fut touché et je crus. »
Le jeune homme s’initie aux maîtres de la littérature universelle, Eschyle, Dante, Shakespeare et Dostoïevski. Il fréquente Mallarmé et le milieu des symbolistes. Par ailleurs, il prépare le concours des Affaires étrangères : il est reçu premier en 1890. Il mène alors parallèlement une double carrière d’écrivain et de diplomate. Ses premiers postes consulaires le conduisent aux États-Unis, puis en Chine. Ses premières œuvres témoignent de sa conversion religieuse. Tête d’or en 1889, La Ville en 1890, L’Échange en 1894, Le Repos du septième jour en 1896. Ces pièces semblent mettre en scène la question de la grâce et de la foi.
En 1900, Claudel publie Connaissance de l’Est, recueil de poèmes en prose, en prise directe sur cette Chine dont la beauté spirituelle l’inspire. La passion qu’il éprouve pour une femme mariée, rencontrée un jour sur un bateau, torture son âme. Cette expérience déchirante est relatée dans Partage de midi en 1906, et se ressent encore dans les Cinq Grandes Odes en 1908, et dans Le Soulier de satin en 1929. Viennent encore L’Otage en 1910, L’Annonce faite à Marie, deux ans plus tard, puis Le Pain dur et Le Père humilié. À partir de 1930, Claudel se retire dans sa famille, et se consacre désormais au commentaire biblique. Un poète regarde la croix en est le premier pas. À la fin de sa vie, la gloire l’environne : ses œuvres sont appelées à être jouées à la scène de la Comédie-Française. Il est élu à l’Académie française en 1946. Il s’éteint en 1955.
Quoiqu’il soit marqué par Mallarmé, et par Rimbaud, en qui il voit « un mystique à l’état sauvage », Claudel refuse toute concession à la mode et à la modernité. L’inspiration lyrique* de ses œuvres, de ses poèmes, de son théâtre, et même des ses essais, semblerait atemporelle, si l’influence catholique n’était si évidente. Méditant sur le Verbe de Dieu et sur le souffle de l’Esprit-Saint, Claudel élabore en fait une véritable mystique de la parole. « Rien ne m’a paru plus beau que la parole humaine », et il tente d’en restituer le rythme naturel : « J’inventai ce vers qui n’avait ni rime, ni mètre », dit Claudel, un vers original, distinct à la fois du vers libre et du verset biblique, qui correspond au souffle d’une voix proférée, et se veut en accord avec les battements du cœur de l’homme et du cosmos. Ce « vers substantiel » est ainsi fondamentalement « l’iambe ou rapport abstrait du grave et de l’aigu ».
La poésie pour Claudel est à la fois naissance, et « co-naissance », acte de création perpétuée, comme il l’explique dans l’Art poétique. Ses vers, notamment dans les Cinq Grandes Odes, sont une action de grâces à la gloire de Dieu. Art solennel et grandiloquent, le lyrisme de Claudel porte au ciel catholique la sève d’une inspiration aux racines profondes. La vocation de l’artiste répond à sa vocation religieuse : la poésie est liturgie.
L’œuvre dramatique de Claudel puise à plus d’une source. Il s’inspire bien sûr de la Bible, et de la religion catholique ; ses héros sont souvent déchirés entre ce monde-ci et leur vocation spirituelle. Mais il est aussi porté par le souffle de la démesure des héros de Shakespeare, et d’Eschyle, dont il a traduit la trilogie dramatique. En outre, ce théâtre de signes et d’analogies, du mystère et de l’appel, est redevable de l’art symboliste, auquel il apporte une dimension plus religieuse et vigoureuse à la fois. Enfin, Claudel puise dans le secret de son âme, et de sa vie, car de nombreux éléments biographiques traversent ses pièces. De là le caractère personnel et unanime à la fois de son œuvre dramatique.
Le théâtre de Claudel a pour scène l’univers, et il met en scène toutes les époques. Si l’intrigue contemporaine de Partage de midi se déroule entre deux continents, L’Annonce faite à Marie a pour cadre une campagne française à l’époque de la guerre de Cent Ans, et Tête d’Or renvoie à une Antiquité mystérieuse. Enfin, Le Soulier de satin met en scène l’amour espagnol de jeunes héros, par-delà les océans, à l’époque de la conquête du Nouveau Monde. Cette étonnante diversité des lieux et des époques cache mal, cependant, la récurrence des mêmes thèmes, repris, entrelacés, décomposés, que l’auteur orchestre savamment. C’est en général le mystère et les contraintes de la vocation religieuse, la faillite de l’homme ou de la cité à qui manque la grâce.