Bouville. Antoine Roquentin – double possible de l’auteur –, travaille à un ouvrage historique. La solitude et l’isolement le rendent disponible au monde. Il ressent un malaise grandissant face à l’existence des choses, des autres, de la sienne même : c’est la nausée. Autour de lui, il voit des êtres, de plus en plus lointains. Il prend conscience de la vacuité fade des opinions qui fondent la vie des autres. Il abandonne ses recherches, vaines elles aussi. Il quitte la ville.
« Ces cahiers ont été trouvés parmi les papiers d’Antoine Roquentin. Nous les publions sans y rien changer », disent les pseudo-éditeurs inventés par Sartre. Cet homme est-il donc mort ? Suicidé ? Pour accentuer l’effet de réel de cette fiction éditoriale, l’auteur laisse en blanc les passages prétendument illisibles ou raturés du premier feuillet, le feuillet sans date. Pour le reste, le livre se présente comme le journal tenu par cet homme, à partir du lundi 25 janvier 1932. Les jours, notés précisément, parfois avec l’indication de l’heure, se suivent plus ou moins régulièrement. Les faits racontés donnent lieu à des récits, des dissertations plus ou moins longues, ou à des impressions parfois très brèves : ainsi, la seule indication pour le lendemain du mardi gras est : « Il ne faut pas avoir peur ».
Le journal est de fait une peinture de mœurs. L’Autodidacte professe un humanisme naïf, orné de formules creuses, et il tente de lire, dans l’ordre alphabétique, tous les livres de la bibliothèque. La patronne du café avec laquelle Roquentin couche parfois n’est guère intéressante. Anny, qu’il aima jadis, ne ressent plus aucune passion. Et cette peinture de mœurs débouche sur une satire* de la société, de ses certitudes ridicules et vaines. Dans le musée de la ville, s’étalent les portraits des notables du coin, les « salauds », engoncés dans leur orgueil satisfait et dans leur bonne conscience.
Mais l’œuvre est aussi un roman philosophique, le pendant littéraire de l’essai sur L’être et le Néant. La thèse principale est la suivante : « tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre. » D’où ce sentiment de dégoût face à la l’existence : « Je comprenais la Nausée, je la possédais [...] L’essentiel c’est la contingence. Je veux dire que par définition, l’existence n’est pas la nécessité. Exister, c’est être là, simplement ». Dès lors, tout être semble de trop, « et moi – veule, alangui, obscène, digérant, ballotant de mornes pensées – moi aussi j’étais de trop ».