À lire les textes médiévaux, une autre quête se fait jour : les œuvres mettent en scène un idéal de l’Homme vers lequel les héros sublimés tendent à l’infini. Ce cheminement superbe apparaît dans ces deux univers distincts, souvent mêlés, la chevalerie d’une part, la courtoisie d’autre part.
Elle est une véritable institution du monde féodal : dans la fameuse tripartition, oratores, bellatores, laboratores (ceux qui prient, ceux qui se battent, ceux qui travaillent), les chevaliers remplissent manifestement la deuxième fonction. Au début, le chevalier n’était qu’un soldat de cavalerie, mais la suite des temps a permis une évolution des fonctions et des valeurs, notamment à la faveur des croisades, qui créent un code, et même un idéal, dits chevaleresques.
Le domaine littéraire de la chevalerie est incontestablement le roman. C’est là un genre nouveau, en langue vulgaire (le roman) et, à l’origine, en vers. Le roman de l’époque puise dans trois matières différentes : la matière antique d’où sont issus le Roman de Thèbes, le Roman de Troie, Énéas, et le Roman d’Alexandre, écrit en vers de douze syllabes, appelés depuis lors alexandrins ; la matière de France, qui donne lieu à des chansons de geste en laisses* (sortes de strophe) assonancées, telles que la fameuse Chanson de Roland, le Couronnement de Louis, la Chanson de Jérusalem et Huon de Bordeaux ; et la matière de Bretagne, dont le vieux fonds celtique alimente le cycle du roi Arthur (Le Conte du Graal, Perlesvaus, La Mort le roi Artu...) et le cycle de Tristan, illustré par Béroul et Thomas.
Les récits chevaleresques valorisent un idéal de l’homme que le héros en quête doit poursuivre constamment. De bataille en tournoi, d’errance en aventure, il doit incessamment par sa vaillance obtenir la maîtrise des autres et de soi-même, qui fait la gloire et le prestige. Mais ces romans proposent aussi une éthique, car l’homme ne s’accomplit qu’en société. En l’occurrence, la dignité consiste à honorer le lien féodal qui unit le vassal à son suzerain en toute loyauté. L’homme idéal est ainsi le parfait chevalier qui manifeste en lui et face aux autres les vertus héroïques et féodales que célèbrent à l’envi les romans.
La quête de l’homme idéal aboutit aussi à une définition de la femme idéale dans le cadre de la littérature courtoise. À la faveur des troubadours et des trouvères, ces poètes musiciens du sud et du nord de la France, l’amour courtois devient un motif enchanteur, quasi obsessionnel. Il met en place une relation dissymétrique et féodale dans laquelle la femme, la domna, devient pour ainsi dire le seigneur de son amant, bien souvent le poète lui-même. Mais en général, les contraintes sociales, le mari ou le méchant, le « losengier », interdisent toute relation véritable, et la frustration amoureuse se sublime en rêveries exquises, conscientes et raffinées.
Dans sa forme achevée, la courtoisie donne la fin’amor, la parfaite amour, que régissent des codes précis et rigoureux. C’est une relation libre, donc nécessairement adultère, et l’amant est soumis à des épreuves initiatiques, lesquelles aboutiront peut-être au « surplus » que donnerait la dame, mais pas toujours, car certains considèrent que la fin’amor doive rester chaste et pure. Ces questions et débats concernant l’idéal et surtout le code courtois sont justement envisagés par André Chapelain, dont le traité fameux rapporte les jugements des cours d’amour.
Mis en littérature, l’amour courtois donne lieu à une efflorescence lyrique* dans laquelle le poète, parfois, chante ses vers, et peut-être ses sentiments personnels, au son des instruments charmants : c’est la canso, où s’illustrent Guillaume de Poitiers et surtout Thibaut de Champagne. Dans les chansons de toile*, les femmes, occupées à tisser, racontent leur amour sur un mode galant, et la lyrique* occitane gagne les régions du Nord. Aliénor d’Aquitaine et sa fille Marie acclimatent la courtoisie à leurs cours respectives d’Angleterre et de Champagne. Elle envahit alors le genre romanesque*, et notamment la matière de Bretagne, remaniée par Chrétien de Troyes, mais il arrive que l’amour, souvent source de prouesses, soit en conflit avec l’éthique chevaleresque. La courtoisie se retouve aussi dans des nouvelles comme La Châtelaine de Vergi. Constamment célébrée comme la chevalerie, la courtoisie, un temps portée aux nues, ne manquera pas bientôt d’être parodiée et critiquée, notamment dans les fabliaux et dans les farces.