Après la chute de l’Empire napoléonien, la Révolution romantique qui s’esquissait prend son essor, comme libérée par la Restauration. A travers les revues et les cercles littéraires comme le Salon de l’Arsenal, et les Manifestes tel que la Préface de Cromwell, on dénote des tendances de fond constitutives d’un nouveau mouvement intellectuel et artistique, d’abord balbutiant, puis délibérément engagé en faveur d’une « révolution » littéraire. La célèbre Bataille d’Hernani marque un tournant de l’histoire du mouvement romantique, qui prend alors une dimension sociale et politique déterminante dans le printemps des peuples et les révolutions du XIXème siècle.
Sans parler véritablement " d'école " romantique au sens classique du terme, on peut néanmoins évoquer la cohérence, l'homogénéité intellectuelle, artistique et littéraire qui traverse le mouvement romantique. L'enjeu même du romantisme, qui fit le ciment de ce mouvement, était d'abolir les contraintes issues du rigorisme passé et des règles classiques de composition artistique et littéraire.
Les précurseurs : La muse française (1823-1824).
Ce périodique créé en 1823 par E. DESCHAMPS, regroupe des poésies de Hugo, de Vigny, des critiques où l'on fait l'apologie de Byron, Shakespeare et Walter Scott. On y disserte sur le nécessaire renouvellement des formes d'expression littéraires et artistiques. On cherche ainsi à dépasser l'exemple non en s'en inspirant, mais en le dépassant.
De même, Le Salon de l'Arsenal développe, entre 1824 et 1830, les rencontres entre artistes, écrivains et intellectuels, sans formalisme mais dans une perspective d'échange, d'enrichissement mutuel par le partage. Gautier, Mérimée, Lamartine, Delacroix et Nerval fréquentent assidûment ce salon où s'esquissent les transformations de l'époque.
Le Journal du Globe (de Dubois) rompt avec cette attitude relativement passéiste, optant pour une campagne active relayée dans les enquêtes du Journal. De futurs écrivains de renom, tels que Stendhal et Mérimée, collaborent à la rédaction de ces articles, de même que des journalistes au style direct, tels que Charles de Rémusat. La critique est acerbe, dénonçant le conformisme des formes d'expression et prônant la liberté de création, la liberté d'appréciation de ce qui est encore alors la " norme " de la création. Parallèlement à l'élargissement du champs littéraire, on dénote déjà les prémices d'un romantisme politique libéral qui s'apprête à éclore en Europe.
La préface du drame historique de V. HUGO, en 1827, pose les jalons de la révolution romantique et impose son auteur comme chef de file emblématique du mouvement qui se rapproche du Globe. HUGO et SAINTE-BEUVE fondent alors un " cénacle " qui prend pour lieu de réunion l'appartement d'HUGO, rue Notre dame des champs. Toute la brillante création littéraire de l'époque se trouve ainsi réunie, énonçant au fur et à mesure les nouveaux principes du Romantisme, qui s'exprimeront définitivement dans la Préface d'Hernani, ainsi que dans sa Lettre aux éditeurs des poésie. HUGO définit alors le Romantisme comme " le libéralisme en littérature ", consommant la rupture avec les héritages classiques, et poussant la comparaison entre liberté politique et littéraire lorsqu'il écrit " la liberté littéraire est fille de la liberté politique ". A la suite de la publication d'Hernani se livre, au Théâtre-français, la fameuse bataille d'Hernani, opposant le Cénacle aux tenants du formalisme classique.
L'éclatante victoire du Cénacle n'est cependant suivie d'aucune autre manifestation d'envergure, et le mouvement romantique suit alors son cours.
Préférant à l'énoncé de vérités universelles le pragmatisme de descriptions vécues et concrètes, les romantiques rejettent le postulat classique de la Raison érigée comme principe fondamental, et prônent la libération de l'imagination et de la rêverie, et des passions individuelles. Les romantiques, dans leurs individualités, évoquent ainsi tous leurs passions, leurs regrets, leurs souffrances et leurs aspirations, mettant en évidence une sensibilité affirmée et non plus occultée, comme le soutenait le dogme classique.
Cette volonté d'évasion amène des évolutions majeures dans la conception même de la liberté de création. Les principes de composition classiques ne suffisent plus à traduire la complexité d'émotions vécues ni de celle de délires créatifs, source constante d'inspiration et d'enrichissement des œuvres artistiques. Le vers lui-même, unité symbolique du Classicisme, se trouve alors fragmenté, prenant de nouvelles formes, de nouveaux rythmes dont V.Hugo devient l'un des plus ardents défenseurs. La symbolique classique, appauvrie par son conformisme et sa continuité, s'enrichit brutalement d'une foule d'émotions et d'images nouvelles.
La définition même des styles, articulés jadis autour de la dichotomie tragique / comique, s'estompe, se brouille, notamment dans le théâtre romantique. Parallèlement à l'évolution littéraire, on se doit de souligner l'évolution politique qui se traduit par un rejet de plus en plus systématique des limites du carcan social et religieux, qui frustre l'expression du génie littéraire et artistique. Les romantiques créent ainsi, en rejet de l'archétype du héros classique, un type de personnage nouveau, à la fois sombre et marqué par la fatalité, manifestant envers Dieu et les Hommes une défiance croissante. De cette destinée noire et fascinante provient l'attraction de ce héros sur les âmes.
De nombreux auteurs ont participé à l'élaboration du mouvement romantique, conférant à l'œuvre romantique un caractère très divers, qui se traduit par la coexistence de nombreux sentiments contradictoires en son sein.
L'embrasement et la passion dénotent une frénésie (qui caractérise l'école frénétique de 1820), un déchaînement de la pensée et de l'imagination qui se répercute sur le style de ces auteurs. D'origine anglaise, sous l'impulsion notamment de Maturin et Byron, cette école cherche à substituer aux souvenirs des souffrances de la période napoléonienne une souffrance nouvelle qui transparaît à travers l'œuvre elle-même et qui est censée remplacer celle vécue et éprouvée. C'est l'ère des criminels, ogres et autres vampires qui émaillent une littérature à la fois noire et fantastique, où les personnages apparaissent sous des traits démoniaques, maléfiques et caricaturaux. On retrouve cette inspiration névrotique dans les personnages dépeints pas Nodier, par Balzac : cette école, après avoir subi les critiques acerbes du Globe, renaît en 1830, notamment à travers des personnages terribles (assassins) qui se retrouveront plus tard dans la prose de Lautréamont.
L'introspection, démarche positive proposée par le romantisme, provoque chez beaucoup d'auteurs une réflexion profonde teintée de mélancolie, voire de 'vague à l'âme' dont on sent les premières manifestations chez Lamartine. Après les journées révolutionnaires de 1830, la désillusion gagne les romantiques trompés par l'illusion des idéaux politiques. On retrouve alors dans les œuvres un rejet global de la société, des valeurs religieuses, économiques et politiques. Poussée à l'extrême, elle donnera naissance à l'angoisse lancinante que traduit le Spleen de Baudelaire qui traverse les Fleurs du mal. Alors que le siècle se trouve en plein cœur d'une transition majeure, tant sur le plan économique que politique, le mouvement romantique traduit alors le désarroi d'une génération désemparée.
Hoffmann développe parallèlement le mouvement fantastique, qui, loin de se rallier à la dimension féerique des récits mythologiques, traduit, à l'inverse, les tourments de la conscience dans un cadre familier, en un mot " réel ". La dimension fantastique résulte elle des hallucinations et des phénomènes de cauchemar qui sont le reflet des angoisses profondes de l'être. La forme littéraire que revêt le mieux ce courant est celle du conte, qu'affectionnent particulièrement Mérimée (dans ses nouvelles), Gautier (le Roman de la momie) et G. de Nerval. Loin de cet univers macabre et troublant, l'imagination artistique permet de transfigurer la cruauté en beauté. C'est l'ère pittoresque, où le roman historique, qui prend ses lettres de noblesses sous la plume d'un W. Scott, d'un Vigny, d'un Mérimée (Chronique du règne de Charles IX) d'un Hugo avec Notre-dame de Paris ou encore d'un Balzac (dans les Chouans), permet de restituer des atmosphères passées et de laisser transparaître des paysages imaginaires ou lointains.
Deux styles encore traduisent la diversité du mouvement romantique : le mysticisme, auquel HUGO se ralliera parfois dans son œuvre, et l'humanitarisme. Le premier définit une recherche du bonheur absolu, à travers hallucinations, illuminations, idéalisme ou spiritualisme. Le second place l'Homme au cœur de la considération romantique, dépassant par là-même la dimension esthétique chère à certains romantiques. La libération de l'Homme s'inscrit en droite ligne de la libération de l'art et Lamartine, Hugo, Michelet Sand et tant d'autres prennent part à la sphère politique agitée de cette époque révolutionnaire.
Sorte de repère dans une période troublée, le mouvement romantique a épousé l'élan révolutionnaire en préparant les grandes transformations politiques et culturelles de la fin du XIXème siècle.