La pièce de Jean-Paul Sartre reprend le mythe séculaire d’Oreste. Les auteurs tragiques grecs l’ont jadis mis en scène, Eschyle dans la trilogie de L’Orestie, Sophocle, dans Électre, Euripide, dans Oreste. La légende est bien connue : c’est l’histoire d’Oreste qui venge son père, assassiné autrefois par Clytemnestre, son épouse, et son amant, Egisthe. Mais que penser de cet acte justicier et parricide à la fois ?
La mythologie antique connaît en ce début de siècle un regain d’intérêt : l’Orphée de Cocteau en 1927, l’Œdipe de Gide en 1930, l’Électre de Giraudoux en 1937. Mais la pièce de Sartre, composée pendant l’Occupation, et comme en « contrebande », a de ce fait des résonnances particulières. Le thème de la faute endossée par le peuple n’est pas sans évoquer le climat de « méa-culpisme » entretenu par le gouvernement de Vichy, pour mieux asseoir son ordre moral. Ce drame peut donc être lu comme une dénonciation politique. Mais il atteint à une dimension philosophique plus générale : la question de la liberté.
Oreste arrive à Argos où Egisthe, roi depuis quinze ans, entretient la ville dans un climat de contrition générale. Il rencontre sa sœur, Électre, réduite à l’état de servante par Egisthe et Clytemnestre qu’elle déteste. Elle l’engage à venger leur père. Egisthe est averti par Jupiter du complot qui le menace, mais il est lui-même las de cette comédie du pouvoir, et il se laisse assassiner par Oreste, qui tue ensuite sa mère. Mais les mouches-Erinnyes, divinités vengeresses, les poursuivent, et Électre cède à la tentation du remords. Oreste, au contraire, assume sa liberté et son acte face au peuple.
Conformément à son esthétique, Sartre met ici en œuvre un « théâtre de situations », c’est-à-dire qu’il met ses personnages en situation d’assumer ou non leur liberté. La culpabilité dont s’enveloppent le peuple ou Électre n’est que l’effet de la mauvaise foi, et ils se laissent définir par le jugement d’autrui, qui les enferme. Oreste, lui, se choisit : « tout à coup, la liberté a fondu sur moi et m’a transi [...] et il n’y a plus rien eu au ciel, ni Bien ni Mal, ni personne pour me donner des ordres ». D’ailleurs, « quand une fois la liberté a explosé dans une âme d’homme, les Dieux ne peuvent plus rien contre cet homme-là ». Les dieux, la faute, n’existent que pour ceux qui veulent bien y croire, pour éviter leur liberté. Mais à la fatalité des Anciens, au péché des chrétiens, Sartre substitue désormais la liberté.