« Pendant ces quatre ans, se plaint Beaumarchais dans sa préface, je ne demandais qu’un censeur ; on m’en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l’ouvrage, objet d’un tel déchaînement ? La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d’une jeune fille qu’il veut séduire, et les efforts que cette fiancée, celui qu’elle doit épouser et la femme du seigneur, réunissent pour faire échouer dans son dessein un maître absolu, que son rang, sa fortune, sa prodigalité rendent tout-puissants pour l’accomplir. Voilà, rien de plus. La pièce est sous vos yeux. »
L’intrigue, en vérité, est un peu plus complexe. Elle constitue une sorte de « sixième acte » du Barbier initial. Figaro veut épouser Suzanne. Marceline, la vieille gouvernante de Bartholo, veut épouser Figaro, et elle le tient par la reconnaissance de dette qu’il a jadis signée. Elle n’a pas encore reconnu en lui le fils qu’elle a jadis perdu. Le comte Almaviva (l’ancien partenaire de Figaro est devenu son adversaire) prétend ravir Suzanne à Figaro. La comtesse Rosine espère bien reconquérir son époux volage. Le jeune Chérubin, amoureux de sa marraine, fait figure de rival ingénu du comte, dont il suscite la colère. Tout se combine allégrement à grand renfort de billets, de mensonges, de déguisements, de fuites, de cachettes, de soufflets, de baisers et de quiproquos : c’est véritablement une comédie d’intrigue, et « tout finit par des chansons ».
Mais c’est aussi une comédie satirique. La justice est ridiculisée en la bêtise de Brid’Oison, qui rappelle le Bridoye de Rabelais. La condition des femmes est évoquée : « traitées en mineures pour nos biens, punies en majeures pour nos fautes », s’exclame Marceline. Les injustes privilèges de la société féodale sont dénoncés : « vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus », remarque Figaro à juste titre. De la sorte, la rivalité entre le comte et Figaro semble un conflit historique ou politique entre un Ancien Régime moribond, s’accrochant à ses privilèges iniques, et un monde nouveau plein de jeunesse, de promesses et d’incertitudes. Le Mariage n’est certes pas une pièce révolutionnaire, mais il justifie sans doute le mot de Beaumarchais : « qui dit auteur dit oseur ».