Pierre Ambroise François Choderlos de Laclos voit le jour à Amiens en 1741, dans une famille de petite noblesse. Il est reçu au Corps royal d’artillerie en 1760. La vie de garnison lui laisse un peu de temps pour fréquenter les salons de Grenoble, et pour s’intéresser aux lettres. Après quelques menus essais infructueux, il publie en 1782 Les Liaisons dangereuses. Le succès, amplifié par le scandale, est immédiat. En vingt ans, plus de cinquante éditions se succèdent.
Après son mariage en 1786, il entreprend un ouvrage sur L’Éducation des femmes. À partir de l’époque révolutionnaire, il entre au club des jacobins, s’introduit dans le cercle des orléanistes, et demande la déchéance de Louis XVI. Il est remarqué par Danton, mais lorsque celui-ci est guillotiné en 1793, il croit devoir subir le même sort. Finalement libéré, il rédige un rapport, De la guerre et de la paix. Après le coup d’État de Bonaparte, le 18 Brumaire, il devient général de brigade. Il meurt en 1803, n’ayant pu commencer un second roman où il se proposait d’expliquer « qu’il n’existe de bonheur que dans la famille ».
L’intrigue se noue et se dénoue au fil des cent soixante-quinze lettres qui composent ce roman épistolaire*. Mme de Merteuil requiert les services de son ancien amant, Valmont : il s’agit de déflorer la jeune Cécile de Volanges avant son mariage avec le comte de Gercourt, dont la marquise désire tirer vengeance. Occupé à séduire la très vertueuse Présidente de Tourvel, Valmont accepte cependant ce projet, et réussit en effet à séduire la jeune fille, puis la Présidente. Merteuil met Valmont au défi de rompre avec Mme de Tourvel, et malgré ses promesses, elle se refuse à ses avances. La Présidente, délaissée, finira par sombrer dans la folie et dans la mort. La rivalité entre les anciens complices s’exacerbe. Merteuil, contrariée par Valmont dans sa liaison avec Danceny, l’amant de Cécile, révèle à celui-ci la perfidie de celui-là. Danceny tue Valmont en duel, et révèle au public l’hypocrisie vicieuse de la marquise. Ruinée, discréditée, défigurée par la vérole, elle doit s’exiler.
La correspondance est ici au service de l’intrigue. Les lettres de Merteuil, par exemple, une fois révélées, la condamnent à l’exil.
Ainsi, les lettres répondent à une exigence précise de la narration.
Mais elles permettent en outre des jeux de perspectives croisées, qui complexifient l’apparente symétrie des liaisons : il est vrai que Merteuil veut séduire Cécile, comme Valmont entreprend la Présidente, mais Valmont veut encore posséder Merteuil, qui se donne à l’amant de Cécile, Danceny, qui finit par abattre Valmont, qui a rompu avec la Présidente, dans l’espoir d’obtenir Merteuil. Ainsi se décompose le labyrinthe du libertinage.
Le libertinage, inspiré de la philosophie critique du xvie siècle, et prolongé au siècle suivant, finit par désigner au xviiie siècle la liberté ou la dépravation des mœurs, notamment en amour. Les personnages du roman sont à coup sûr des libertins*. Ils ont un principe et un système tout à fait remarquables. Ils travaillent consciencieusement à corrompre la vertu, et à souiller l’innocence. Mme de Merteuil, en véritable chef d’orchestre, manipule les uns et les autres, et dirige cette symphonie du vice, qui finit cependant par lui échapper, et se retourne contre elle. Valmont cultive avec virtuosité cet art de la séduction, qui révèle en lui le psychologue et le stratège. Par des calculs lointains, il s’acharne aux conquêtes les plus difficiles. À d’autres la pureté et les bons sentiments : à travers la gaze d’un beau langage, Choderlos de Laclos donne à voir des galeries de turpitudes, qui sentent quelque peu le soufre.
Pour autant, l’auteur se défend de toute immoralité. Au contraire, dans la préface, il affirme : « C’est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, et je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but. » Du reste, la conclusion du récit semble tout à fait morale : l’exil et la mort pour les roués, un couvent pour Cécile, la mort aussi pour la Présidente. Dans ces conditions, le roman semble même s’inscrire dans la lignée classique des moralistes. Toutefois, le roman met en scène le crépuscule d’un monde, où l’aristocratie épuisée, s’abîme dans une volonté de puissance, où elle se ruine. C’est le côté révolutionnaire de l’œuvre. Roman libertin*, ou moraliste, Les Liaisons manifestent en tout cas cette évidence trouble : que les beautés de l’art prennent souvent leur source dans la perversité du mal.