Me numerai pur remembrance,
Marie ai nun, si sui de France.
Je me nommerai pour la mémoire des temps,
Marie est mon nom et je viens de France.
Voilà en somme l’essentiel des connaissances sur la première des poétesses de langue française dont l’Histoire ait gardé le souvenir. Elle vient donc de France, ou peut-être d’île de France, mais elle a, semble-t-il, vécu à Londres, à la brillante cour d’Henri II Plantagenêt. Son œuvre, car Marie effectue un louable et digne effort de mémoire, est un travail de translatio, comme on disait alors, c’est-à-dire de traduction : elle traduit du latin au français le Traité du purgatoire de saint Patrice d’Henri de Saltrey, elle adapte en français la version anglaise d’un recueil de fables appelé Ysopet et retranscrit la tradition orale des lais.
Ces lais (du celtique laid, chanson) sont des contes « que hum fait en harpe et en rote. / Bone en est a oïr la note ». Souvent, Marie évoque le mouvement qui a permis son œuvre : de l’aventure naît le conte, du conte les Bretons firent un lai musical, et Marie, recueillant l’héritage, compose alors le récit, lai narratif et sans musique, pour du moins garder quelque trace de ces traditions orales et anciennes, « pur remembrance ». Son œuvre, naturelle et délicate à la fois, associe à la merveille de la matière de Bretagne les grâces amoureuses de la courtoisie.
Amour et merveille, tels sont en effet les maîtres mots de cette œuvre. Au fil des contes de Marie, le lecteur croise telle fée amoureuse, un navire magique, une biche prophète, un loup-garou appelé Bisclavret, Yonec l’homme-oiseau au secours de la dame. Mais bien souvent, la merveille réside moins dans ces motifs légendaires que dans la beauté de l’amour lequel, malgré les fautes des amants, en dépit des contraintes que sur les femmes font peser les époux et la société, parvient à triompher, parfois dans la mort même, et par la poésie du conte.