Cette comédie en trois actes et en prose est créée au Théâtre Italien en 1730, où elle remporte un franc succès. Elle a même l’honneur d’être présentée au roi à Versailles. À la ville, à la cour, tout le monde goûte le talent de Marivaux.
Dorante, avant d’épouser la jeune fille que lui destinent ses parents, voudrait, incognito, l’étudier quelque peu. Silvia, de son côté, celle qu’il doit épouser, ayant la même idée, recourt au même subterfuge : chacun échange sa tenue, qui avec son valet, qui avec sa soubrette, et tous deux croient pouvoir s’observer par ce biais, tandis que Lisette et Arlequin se trouvent brusquement promus à la place des maîtres. Dans ce chassé-croisé cocasse en forme d’imbroglio, Silvia se désespère du peu de charme qu’elle trouve au faux Dorante, auquel elle préfère le faux Arlequin, et Dorante se sent aussitôt attiré par la fausse Lisette. Les deux valets travestis semblent également s’entendre. Bientôt, Dorante est révélé, mais Silvia garde le masque : elle veut qu’il se déclare à elle en sa livrée de domestique. Malgré l’apparente différence de conditions sociales, il finit par avouer son amour et lui propose le mariage : Silvia se révèle à son tour, au grand bonheur des deux amants.
L’amour est le sujet de la pièce, ses origines, ses effets, au cœur de la trame sociale. Silvia doit se marier, mais elle remarque avec angoisse et lucidité : « dans le mariage, on a plus souvent affaire à l’homme raisonnable, qu’à l’aimable homme ». Dorante, lui, doit vaincre le préjugé de classe, et se résout finalement à épouser une servante : « ma fortune nous suffit à tous les deux, et le mérite vaut bien la naissance ».
Mais l’amour et la société sont ici transfigurés par la magie du théâtre. Les masques cachent les visages et révèlent les cœurs. Entre mensonge et vérité, le double jeu, qui multiplie les doubles sens, trouve un langage secret, celui du sentiment. Les motifs de théâtre du valet maître et de l’amant déguisé sont ici redoublés et combinés avec bonheur, et de malice en délices, transforment l’illusion du langage en plaisir d’amour et de jeu.