Le petit « Poulou » grandit, orphelin, dans le confort bourgeois de la famille Schweitzer, entouré par sa mère et par ses grands-parents. Mais la lecture lui permet d’échapper au conformisme familial. Ses brillantes études le conduisent jusqu’à l’École Normale Supérieure, et à l’agrégation de philosophie. Il rencontre Simone de Beauvoir, la compagne de toute une vie, avec laquelle il forme un couple libre et heureux. Nommé professeur, il publie un essai, L’Imagination (1936), un roman, La Nausée (1938), et un recueil de nouvelles, Le Mur (1939). Le succès est grand. Mobilisé en 1939, capturé, libéré, il entre en résistance. En 1943, il publie un essai philosophique important, L’Être et le Néant.
Désormais sa vie se confond avec ses engagements et avec ses œuvres nombreuses, qu’il compose régulièrement. C’est d’abord le théâtre qui assure sa renommée : Les Mouches (1943), Huis-Clos (1944), La Putain respectueuse (1946), Les Mains sales (1948), Le Diable et le Bon Dieu (1951), Kean (1954), Nekrassov (1955), Les Séquestrés d’Altona (1959), autant de chefs-d’œuvre. Il écrit aussi le cycle romanesque* des Chemins de la liberté : L’Âge de raison, Le Sursis, La Mort dans l’âme, et un dernier volume inachevée, La Dernière Chance (1943-1949). Sartre publie encore de nombreux essais : L’Existentialisme est un humanisme (1946), Réflexions sur la question juive (1946), Baudelaire (1947), Saint Genet, comédien et martyr (1952), Critique de la raison dialectique (1960), Situations (articles parus de 1945 à 1965). L’Idiot de la famille (1972). Enfin, il a raconté sa vie dans son autobiographie Les Mots (1963).
En 1964, Sartre refuse le Prix Nobel.
Sartre est d’abord un philosophe. De la phénoménologie* du philosophe allemand Husserl, il retient cette attention nécessaire à la conscience et au monde : « toute conscience est concience de quelque chose ». Et il récuse toutes les conceptions, idéalistes ou réalistes, qui exaltent la pensée ou la réduisent à l’inconscient. Par ailleurs, il s’inspire de Kierkegaard, Jaspers et Heidegger, pour définir son propre existentialisme, pierre d’angle de tout son système philosophique.
Pour Sartre, « l’existence précède l’essence », elle est une donnée première, l’essence de l’homme, si tant est qu’elle existe, étant un devenir dans l’histoire, un « projet d’être ». « L’homme n’est rien d’autre que ce qu’il se fait. » Le sujet est d’abord confronté à un monde « toujours déjà là », puis au regard d’autrui, qui définit et limite sa liberté. L’homme est donc toujours « en situation », condamné à être libre pour « exister », s’engager dans le réel. Même la mauvaise foi qui nie cette liberté, et donc toute responsabilité, est déjà un engagement. L’homme est toujours déjà libre, engagé, et responsable, quoi qu’il fasse. « L’existentialisme est un humanisme ». Sartre met donc sa vie en accord avec sa pensée, et il s’engage.
Penseur engagé dans son siècle, Sartre est un intellectuel véritable. Outre son œuvre prolifique, son engagement a fait sa renommée. Il s’engage dans la Résistance contre le nazisme. Il soutient le Parti communiste jusqu’à l’intervention soviétique en Hongrie en 1956. Il défend le Front de Libération Nationale algérien, et dénonce l’emploi de la question (la torture) par l’armée française. Il critique l’intervention de la France en Indochine, celle des États-Unis au Viêt-Nam, et le colonialisme en général. Il participe aux mouvements contestaires de 1968, et soutient, entre autres, dans son journal Tout, la cause homosexuelle.
Romancier, dramaturge, critique, Sartre investit dans ses œuvres sa riche réflexion sur l’existence, l’histoire et la liberté. Ses romans sont des analyses lucides sur la situation dans l’histoire des héros mis en scène. Le style est souvent riche, dense et nerveux. Les intrigues dramatisées produisent des effets particulièrement intenses. Dans Les Chemins de la liberté, il met en œuvre une technique « simultanéiste » déconcertante, qui permet de suivre en même temps les destins parallèles ou croisés de ses personnages.
Dans ses pièces, il reprend des mythes intemporels (Oreste dans Les Mouches), ou des situations abstraites (Huis-clos), mais il s’oriente vers des intrigues qui, sans être historiques, exposent des problèmes actuels et concrets de manière dialectique (Les Mains sales, Les Séquestrés d’Altona). Le résultat est toujours dynamique et vivant, le style, réaliste, éclairé de répliques percutantes ou de maximes* bien frappées.
Le critique n’est pas moins brillant : il a admirablement analysé le drame de Baudelaire, l’alibi esthétique de Flaubert, l’homosexualité de Genet. La pensée, l’art et l’engagement forment ici une conjonction exceptionnelle.