Après « une jeunesse d’humiliation et de panne », Georges Charles Huysmans mène à Paris une vie terne et régulière de fonctionnaire au ministère de l’Intérieur. À partir de 1874, ses premiers romans, publiés sous le nom Joris-Karl Huysmans, Marthe, histoire d’une fille, et Les Sœurs Vatard, font de lui un disciple du naturalisme et de Zola. D’ailleurs, il collabore aux Soirées de Médan, avec sa nouvelle, Sac au dos. Croquis parisiens en 1880, En Ménage, en 1881, et À vau l’eau, l’année suivante, peignent la médiocrité d’un monde composé pour l’essentiel « de sacripants et d’imbéciles ».
À rebours, en 1884, marque une rupture dans l’œuvre de Huysmans. Le dandysme du héros, Des Esseintes, sombre dans les déliquescences d’un esprit « fin de siècle ». Loin de la vulgaire réalité, l’homme se livre aux excentricités les plus rares, et les plus exquises, pour épuiser les ressources de l’artifice, du luxe et de la sensibilité. Cet art de vivre paradoxal, aux limites de la folie, traduisent en fait la recherche d’un idéal, encore mal défini dans le roman. Des Esseintes apparaît dans l’histoire littéraire comme une figure emblématique du décadentisme.
Cet idéal que recherche Huysmans, il va le chercher Là-bas, aux enfers du satanisme et de la sensualité. Mais ce n’est qu’une étape dans la quête spirituelle de l’auteur. Après ses expériences de magie noire, une retraite mystique suscite la conversion de son âme, que traduisent les œuvres suivantes : La Cathédrale en 1898, L’Oblat en 1903 et Les Foules de Lourdes en 1906.
Cet itinéraire particulier a de quoi étonner. Parti du réalisme le plus morne, Huysmans parvient au mysticisme le plus sincère. En réalité, c’est ce taedium vitae, ce dégoût de la vie, et de la réalité moderne, qui expliquent sa trajectoire. Pour sortir des ornières du matérialisme*, et de la médiocrité qu’il décrit dans ses romans naturalistes, il explore des voies diverses : le dandysme, l’esthétisme, l’occultisme, et
enfin le mysticisme. Ce parcours remarquable, avec ses tentations diverses, est celui que de nombreux hommes de sa génération ont plus ou moins suivi. Par-delà les contradictions apparentes de cette existence, Huysmans a suscité la ferveur de ses admirateurs qui, de génération en génération, transmettent l’héritage et l’enthousiasme aux nouveaux initiés.