Voilà sans doute la plus troublante des nouvelles de Maupassant, et la plus mystérieuse : qu’est-ce donc que le Horla ? L’un de ces êtres extra-terrestres dont parle Camille Flammarion dans son essai sur La Pluralité des mondes habités ? Une nouvelle espèce animale, que les théories biologiques de Darwin pourraient alors expliquer ? Le délire d’un esprit surmené, comme ceux dont s’occupe le neurologue Charcot ? Une simple fantaisie littéraire ? Le fait est que Maupassant s’intéressait à toutes ces théories. Par ailleurs, le lecteur a du mal à oublier que le récit est écrit par un homme qui, sujet à des troubles nerveux, devait bientôt sombrer dans la folie. Est-ce alors une prémonition ?
Cette nouvelle met en scène un homme, obsédé, puis possédé par un être mystérieux et invisible, le Horla. En réalité, il n’y a pas un mais deux Horla. La première version du récit, publiée en 1886, est un conte fantastique*, la seconde publiée l’année suivante, un conte psychotique. Dans la première, l’objectivité de la narration, la troisième personne du singulier, la rigueur des indices et du raisonnement, la garantie enfin d’un célèbre médecin aliéniste qui, face à ses collègues, ne sait plus quoi penser du récit du patient, sont autant d’éléments qui rendent vraisemblable l’existence réelle du Horla. Dans la seconde version, au contraire, le récit subjectif d’un journal à la première personne, quelques incohérences (incohérence des dates autour du six juillet notamment), le caractère paranoïaque du personnage, qui se croit obligé de brûler sa maison, puis de se suicider, pour venir à bout du Horla, indiquent plutôt les signes d’une maladie mentale, dont le héros n’est pas conscient : une psychose.
D’où vient ce nom étrange ? Dans la première version, le héros baptise ainsi le Horla, sans même savoir pourquoi. Dans la seconde, le Horla sussure lui-même son nom à l’oreille de sa victime. Il est à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du héros, hors et là, Horla, c’est-à-dire hors-la-loi, hors toute loi. C’est une sorte de vampire invisible qui, la nuit, aspire l’énergie vitale des hommes dont il s’alimente.
Le Horla est quoi qu’il en soit un conte d’angoisse, angoisse de la solitude, angoisse de l’infini, angoisse du moi, angoisse de claustration. Ce monde vide et muet, que l’auteur peuple d’êtres mystérieux, ne peut guère conduire en effet qu’à la folie et qu’au suicide, si belle, sombre et mystérieuse est la puissance poétique du Horla.