En 1640, Corneille fait jouer Horace, tragédie en cinq actes et en vers : une sanglante guerre oppose les deux villes, Albe et Rome. Sabine, dont les trois frères combattent pour Albe, a épousé un Romain, Horace. À l’inverse, Camille, sœur d’Horace, est fiancée à Curiace, l’un des frères de Sabine. Pour éviter une bataille générale, on choisit dans chaque camp trois champions : leur lutte permettra de décider de la victoire. Or sont désignés pour Rome Horace et ses frères, et pour Albe, Curiace et ses frères. Curiace est désolé, mais Horace éclate d’une joie brutale et patriotique. Tandis que Camille et Sabine tentent d’empêcher l’affrontement, le vieil Horace intervient, et exhorte les jeunes gens au combat. Les armées veulent un autre choix, mais les augures s’y opposent. Le combat commence donc. Les frères d’Horace meurent, lui même fuit. Son père est indigné. Mais on apprend par quelle ruse, en séparant ses adversaires, il les a successivement tués. Le vieil homme triomphe, Camille est accablée. Quand son frère revient triomphant, elle le maudit, et il la tue. Valère, qui aimait Camille, accuse Horace auprès du roi ; son père le défend. L’éloquence du vieil homme l’emporte : le sauveur de la patrie est acquitté du meurtre de sa sœur.
Pour cette pièce, Corneille emprunte à l’histoire romaine. Il a lu Tite-Live, et découvre chez ces vieux Romains une conception exigeante de la morale et de la politique, tout à fait appropriée pour qui voudrait bâtir une tragédie. D’Horace à Suréna, ce sont une belle quinzaine de tragédies romaines écrites par Corneille. Mais le public n’a pas manqué de remarquer quelles applications il pouvait faire de cette pièce. La France était en guerre contre l’Espagne, la reine de France était la sœur du roi d’Espagne, et la reine d’Espagne était la sœur du roi de France. Tel est exactement le canevas de la tragédie. La portée morale de la pièce s’inscrit tout à fait dans le cadre politique défini par Richelieu, à qui la pièce est adressée. Il s’agit de subjuguer les intérêts particuliers sous un sentiment patriotique, en faisant prévaloir une valeur suprême : l’État. Mais l’intérêt de cette tragédie réside surtout dans la force rhétorique*, parfois brutale et âpre, des passions et des vers. La véhémence du père permet d’absoudre la barbarie du fils : c’est le triomphe du patriotisme.