L’intrigue de cette pièce en deux actes repose sur la mythologie grecque et l’épopée d’Homère, L’Iliade. Pâris, prince troyen, a enlevé Hélène de Sparte, dit la légende. Ce rapt aurait été la cause, ou le prétexte, d’une guerre de dix ans entre les Grecs et les Troyens. Giraudoux situe l’action de son drame juste quelques heures avant la déclaration de guerre. Créée en 1935, la pièce évoque clairement la menace qui pèse sur les relations franco-allemandes, de plus en plus tendues dans les années 30. Elle prend donc ici un ton douloureusement prophétique...
Hector, chef des Troyens, pour résoudre le conflit, prétend rendre aux Grecs la belle Hélène, enlevée par Pâris, son frère. Andromaque, son épouse, est soucieuse, Cassandre, sa sœur, pessimiste, et Hélène, insouciante. Les bellicistes, conduits par le poète Démokos, s’opposent aux pacifistes. Hector réussit apparemment à vaincre toutes les résistances, mais à la fin, c’est lui-même qui, en tuant, excédé, le fanatique Démokos, déclenche involontairement la guerre.
Les éléments de comédie sont nombreux dans cette pièce. Démokos est souvent ridicule, et les vieillards édentés, amoureux de cette Hélène, qui semble tout droit sortie d’un vaudeville*, ne le sont pas moins. Par ailleurs, l’élégance du style supporte aisément les remarques quelque peu grivoises ici ou là. Mais progressivement, le climat s’alourdit, le destin se précise, et la comédie s’achève en tragédie, sur la perspective de la guerre.
La pièce met en scène, outre Hector, le héros, de nombreux personnages, tous relativement importants, et très nettement individualisés. Ils s’ordonnent en groupes distincts, pacifistes, bellicistes, grecs ou troyens, hommes ou femmes.
Prince de Troie, et fils du roi Priam, Hector est le champion de la paix. Il est chef de famille : il s’impose à son frère et à son père. Il aime son épouse Andromaque, qui attend un enfant de lui. Il est chef militaire : général victorieux, il ne connaît que trop les horreurs de la guerre. Il est aussi chef d’État, et croit pouvoir commander aux destinées de Troie, alors que c’est lui finalement qui déclenche involontairement la guerre qu’il combat.
La belle Hélène, aux hommes amoureux, semble la femme idéale, alors qu’elle n’est en fait qu’une femme légère. En profondeur, son insouciance cache une conscience visionnaire du destin, dont elle aperçoit les malheurs inéluctables. Andromaque, enceinte, veut être optimiste. Mais elle évolue de l’espoir à la crainte, et elle voudrait au moins, pour donner un sens à cette guerre inéluctable, que Pâris et Hélène s’aiment pour de bon. Cassandre, selon la légende, est une prophétesse, que nul ne croit jamais. Dans la pièce, en effet, elle pressent dès le début, sans pouvoir rien y faire, l’issue de cette funeste journée.
Belliciste forcené, Démokos est un poète boursouflé, ridicule et méprisable. Mais il n’en est pas moins inquiétant, car ce dangereux idéologue, finalement blessé par Hector, en accuse un Grec, aussitôt lynché par les Troyens, et réussit ainsi par sa mort ce qu’il n’avait pu faire par sa vie misérable. Ulysse, ambassadeur des Grecs, semble au début favorable à une confrontation militaire. En réalité, il tente de ruser contre les dieux, mais, lucide, il sait que le destin penche pour la guerre.
Le thème principal est donc le destin. Plusieurs personnages de la pièce, à des degrés divers, divination, prescience ou intuition, sont conscients du destin implacable qui les menace, non seulement la guerre, mais au bout du compte, la ruine effroyable de Troie, et pour les héros de cette ville, l’exil, l’esclavage ou la mort. D’ailleurs, la volonté des dieux se fait entendre au cours de la pièce, à travers les oracles, il est vrai contradictoires, d’Aphrodite, d’Athéna et de Zeus. Et le tragique atteint son comble dans l’ironie du sort, quasi absurde, qui désigne en Hector l’intrument du destin qu’il combat et précipite à son corps défendant.
Mais la pièce est aussi une réflexion, d’actualité et intemporelle à la fois, sur la cité. Les motivations belliqueuses, faussement héroïques ou patriotiques, sont démasquées. Le drame est ainsi un éloge de la paix, le combat véritable, autrement plus glorieux que celui qu’exalte Démokos. L’héroïsme humaniste que préconise Giraudoux a pour idéal la paix, et non la guerre et toutes ces idéologies verbeuses, qui mènent la cité à sa faillite.
L’amour a aussi sa place dans la pièce, d’ailleurs, c’est au nom de l’amour douteux de Pâris et d’Hélène que la guerre est menée. Face à l’amour idéel et ridicule des vieillards pour Hélène, face à l’amour sensuel d’Hélène pour les hommes bien faits, apparaît, beau et généreux, l’amour conjugal d’Hector et Andromaque. Mais l’amour, si pur soit-il, ne peut sauver le monde. Les pessimistes auront raison.