De la vie du poète, on pourrait faire un merveilleux roman picaresque*, et ce d’autant plus que sa biographie est assez incertaine. François Villon, alias François des Loges, s’appelle en fait François de Montcorbier, ou encore Michel Mouton, quand il veut éviter les poursuites policières. Il est élevé par un chanoine, Guillaume de Villon, et poursuit ses études à l’université de Paris.
Il obtient certes la maîtrise des arts, mais se signale davantage par ses chahuts, rixes et bagarres. Son inconduite et ses fréquentations le conduisent à voler, à blesser, et même à tuer. Il se retrouve plus d’une fois en prison, et il est, en 1463, condamné à être pendu, une circonstance qui lui inspire sa fameuse Épitaphe, dite « Ballade* des pendus ». Il est finalement condamné à l’exil, et doit quitter Paris. On ne sait rien de lui après ce temps.
Portrait de l’artiste en voyou, tel est François Villon. Le poète en prison annonce Marot, Verlaine et Oscar Wilde ; le vagabond rebelle précède Rimbaud et Jean Genet. Ses vers évoquent souvent les rues, le menu peuple de Paris, les artisans, les prostituées, la société secrète et criminelle des Coquillards, dont, peut-être, il fut membre. Lorsqu’il évoque l’amour, il tend à parodier la tradition courtoise et Le Roman de la rose, leur préférant sans doute les vénales et concrètes faveurs de la grosse Margot. Mais la solide et franche joie de ce poète est souvent traversée par la conscience aiguë du vieillissement, de la déchéance et de la mort, qu’il a plus d’une fois croisée.
Dans son œuvre, souffle l’esprit du carnaval moyenâgeux. L’inversion perpétuelle des rangs et des valeurs selon le motif du monde à l’envers, la destitution des autorités, l’éloge du bas, de la chair, du plaisir, de la farce, l’obsession de la mort et des danses macabres, font de lui un parfait et vivant symbole de la culture populaire qu’il récupère en la mêlant d’ingrédients fort subtils de la culture savante. En cela, Villon apparaît même comme un splendide représentant du Moyen Âge, bien que de nombreux commentateurs aient souligné l’évidente modernité de son œuvre.
Le style de Villon étonne par sa richesse exceptionnelle, aussi vigoureuse que naturelle. Il est selon les cas ironique ou amer, délicat ou grossier, gouailleur ou méditatif. Le poète maîtrise le style courtois, le style allégorique, et emprunte aux rhétoriqueurs* leur virtuosité, qu’il prend soin d’animer de façon vivifiante. Il aime jouer sur les proverbes, les antithèses, les acrostiches, la polysémie et les ambiguïtés, les jargons et l’argot.
Il privilégie dans son Lais les strophes carrées, les dizains de décasyllabes ou les huitains d’octosyllabes, et aime les pourvoir d’une pointe* finale, qui clôt admirablement le poème, en renverse la perspective, ou annonce le suivant. Mais dans son Testament, où, il prend congé du monde, en distribuant ses maigres biens, quelques-uns des poèmes et ses prodigues critiques, il a souvent recours au genre de la ballade*, ce sont les fameuses « Ballade des dames du temps jadis », « Ballade des seigneurs du temps jadis », « Ballade pour prier Notre Dame », « Ballade de la grosse Margot », « Ballade en vieil langage françois ». Enfin, voici, pour conclure, quelques vers du célèbre poème que Villon composa, à l’occasion du concours de Blois organisé par Charles d’Orléans, sur le motif donné : « Je meurs de seuf auprès de la fontaine » ; la mécanique virtuosité du procédé laisse entrevoir l’intimité lyrique* de ce curieux personnage.
Je meurs de soif auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent a dent
En mon pays suis en terre lointaine
Près d’un brasier frissonne tout ardent
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir
Confort reprends en triste désespoir
Je m’éjouis et n’ai plaisir aucun
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.