Le jeune Bernard Profitendieu fuit la rigueur et les mensonges du milieu familial, et demandant son aide à son ami Olivier, devient le secrétaire de l’oncle d’Olivier, Édouard, qui travaille à un roman, Les Faux-Monnayeurs. Olivier rencontre un écrivain douteux, Passavant. Georges, le jeune frère d’Olivier, est entraîné dans une société secrète, qui pousse au suicide le jeune Boris. Vincent, le grand frère d’Olivier, quitte Laura, et part avec Lady Grigffith, une femme douteuse, qu’il finit par tuer. Édouard réussit à soustraire Olivier à l’influence pernicieuse de Passavant, et Bernard, après quelques aventures plus ou moins décevantes, rentre dans son foyer.
Les enfants et adolescents de ce roman ont en eux un violent désir d’amour et d’émancipation. Ce désir légitime est en fait périlleux. Les aventures sombres où se hasardent ces jeunes personnages en sont le signe manifeste. Le monde des adultes n’est guère rassurant. L’aveuglement des uns, les mensonges des autres, la méchanceté enfin, tout serait bien noir sans la générosité et la lucidité d’Édouard, dont la sensibilité homosexuelle offre un utile réconfort à ses jeunes amis.
Voilà, pour Gide, le seul roman qu’il ait jamais écrit, toutes les narrations précédentes étant pour lui des récits ou des soties, dont la construction linéaire s’oppose à la composition polyphonique qu’exige à ses yeux le roman. Ce roman présente en effet des points de vue divers, tout en privilégiant celui d’Édouard. La construction très complexe est remarquable. Les miroirs et faux reflets sont légion. Le titre de Gide, par exemple, évoque celui du roman d’Édouard, qui lui-même, sans le vouloir, renvoie à cette bande de faux-monnayeurs de l’intrigue, qui n’en sont pas vraiment.
Cet enchâssement est une mise en abyme, qui fait de l’expérience avortée d’Édouard le négatif du roman achevé de Gide. Mieux, les étapes du roman, la libération de Bernard, les tentations d’Olivier, les malheurs de la fin, et le retour vers Édouard figurent l’itinéraire d’André Gide, la libération des Nourritures, les tentations des Caves du Vatican, et le retour à la sagesse des Faux-Monnayeurs, pour boucler la boucle. En outre, l’itinéraire de cette œuvre, qui reprend celui des œuvres précédentes, est aussi le chemin que suit toute création romanesque* selon Gide. Ainsi les trois niveaux de ce roman doublement allégorique font-ils des Faux-Monnayeurs un moment capital de l’histoire du genre, ce dont le Journal des Faux-Monnayeurs apporte encore la confirmation.