Vous trouverez ci-après deux exemples de sujets corrigés. Le premier vous permettra de vous entraîner plus avant aux problèmes de rédaction du commentaire composé à partir du plan détaillé.
Nous réviserons :
Le second sujet est intégralement traité. Vous pourrez ainsi prendre mieux conscience de la globalité du travail à fournir dans les quatre heures de l’épreuve.
« La Charge des cuirassiers de Waterloo », Les Misérables, 1862.
Alors on vit un spectacle formidable.
Toute cette cavalerie, sabres levés, étendards et trompettes au vent, formée en colonnes par division, descendit, d’un même mouvement et comme un seul homme, avec la précision d’un bélier de bronze qui ouvre une brèche, la colline de la Belle-Alliance, s’enfonça dans le fond redoutable où tant d’hommes déjà étaient tombés, y disparut dans la fumée, puis, sortant de cette ombre,reparut de l’autre côté du vallon, toujours compacte et serrée, montant au grand trot, à travers un nuage de mitraille crevant sur elle, l’épouvantable pente de boue du plateau de Mont-Saint-Jean.
Ils montaient, graves, menaçants, imperturbables, dans les intervalles de la mousqueterie et de l’artillerie, on entendait ce piétinement colossal. Étant deux divisions, ils étaient deux colonnes ; la division Wathier avait la droite, la division Delord avait la gauche. On croyait voir de loin s’allonger vers la crête du plateau deux immenses couleuvres d’acier. Cela traversa la bataille comme un prodige.
Rien de semblable ne s’était vu depuis la prise de la grande redoute de la Moskowa par la grosse cavalerie ; Murat y manquait, mais Ney s’y retrouvait. Il semblait que cette masse était devenue monstre et n’eût qu’une âme. Chaque escadron ondulait et se gonflait comme un anneau du polype.
On les apercevait à travers une vaste fumée déchirée çà et là. Pêle-mêle de casques, de cris, de sabres, bondissement orageux des croupes des chevaux dans le canon et la fanfare, tumulte discipliné et terrible ; là-dessus les cuirasses, comme les écailles sur l’hydre.
Ces récits semblent d’un autre âge. Quelque chose de pareil à cette vision apparaissait sans doute dans les vieilles épopées orphiques racontant les hommes-chevaux, les antiques hippanthropes, ces titans à face humaine et à poitrail équestre dont le galop escalada l’Olympe, horribles, invulnérables, sublimes ; dieux et bêtes.
Rédiger l’enchaînement de la tête de partie et le début de l’analyse textuelle
Rédiger la référence à un champ lexical et le commentaire du champ lexical
Rédiger l’amorce d’une étude stylistique
Claude Roy, Clair comme le jour, 1943.
Séries générales, Groupement III, juin 1996.
Le poème suivant a été inspiré à Claude Roy par une jeune nageuse endormie sur une plage aux environs de Nice.
Dormante
Toi ma dormeuse mon ombreuse ma rêveuse
ma gisante aux pieds nus sur le sable mouillé
toi ma songeuse mon heureuse ma nageuse
ma lointaine aux yeux clos mon sommeillant œillet
distraite comme nuage et fraîche comme la pluie
trompeuse comme l’eau légère comme vent
toi ma berceuse mon souci mon jour ma nuit
toi que j’attends toi qui te perds et me surprends
la vague en chuchotant glisse dans ton sommeil
te flaire et vient lécher tes jambes étonnées
ton corps abandonné respire le soleil
couleur de tes cheveux ruisselants et dénoués
Mon oublieuse ma paresseuse ma dormeuse
toi qui me trompes avec le vent avec la mer
avec le sable et le matin ma capricieuse
ma brûlante aux bras frais mon étoile légère
je t’attends je t’attends je guette ton retour
et le premier regard où je vois émerger
Eurydice1 aux pieds nus à la clarté du jour
dans cette enfant qui dort sur la plage allongée
1 Piquée par un serpent, Eurydice mourut sur le rivage. Son époux, Orphée, tenta en vain de la ramener des Enfers.
Pour vous aider dans votre entraînement, nous proposons ci-dessous un plan sommaire du commentaire composé.
« Dormante », de Claude Roy, extrait du recueil Clair comme le jour, est un poème d’amour. Le poète y évoque avec lyrisme une jeune fille endormie sur une plage. À la faveur d’un moment privilégié, la parole poétique tente de cerner une relation qui n’est peut-être que rêvée. Nous verrons comment le poète rend compte de sa contemplation de la jeune endormie. Puis nous étudierons l’harmonie parfaite qu’il décèle entre la femme aimée et la nature et nous analyserons les sentiments les plus intimes qu’il se risque à formuler à la faveur du sommeil de la jeune fille.
L’image de la jeune fille contemplée par le poète est indissociable du sommeil qui semble la transfigurer. C’est ainsi que le titre du poème, « Dormante », combine d’emblée les thèmes de la féminité et du sommeil. Ces deux thèmes et leur étroite imbrication structurent par la suite la progression du poème dont ils assurent l’unité.
Si l’on excepte l’occurrence du nom « sommeil » au vers 9, le champ lexical de l’endormissement se confond avec les dénominations de la femme. Le poème peut donc être compris comme une sorte d’invocation à la belle endormie, à travers l’accumulation d’appellations tendres qui sont autant de tentatives de saisir la nature même d’une personnalité qui fuit dans le sommeil. « Dormeuse » (vers 1 et 13) répond à « Dormante » ; à l’état passager suggéré par le titre succède l’affirmation d’un caractère distinctif. Par ailleurs, le titre fait écho à la dénomination finale (vers 20) « cette enfant qui dort ». Le poème, clos sur lui-même, explore par les mots un monde fermé, qui isole la jeune fille, le monde du sommeil et du rêve.
Le champ lexical du sommeil joue en effet sur les connotations et les associations sémantiques. Il rapproche « dormeuse » et « rêveuse », dormir et songer, mais aussi le sommeil et la mort. Le mystère et la fascination qui émanent tant du personnage que du poème relèvent de leur ambivalence fondamentale. La jeune fille est-elle seulement endormie, ou morte et perdue, telle « Eurydice » ? Est-elle « paresseuse » ou « gisante », figée dans un sommeil de mort ?
Métaphorique ou réelle, l’image de la mort n’est de toute manière que sous-jacente, et adoucie par les sonorités et les rythmes qui introduisent un bercement régulier. Claude Roy emploie à cette fin la coupe régulière de l’alexandrin (6+6) dans de nombreux vers du poème (vers 2,4,6,9,11,16,18,19,20). Dans d’autres vers, libres cette fois, le rythme joue sur la répétition régulière des appellations de la femme : aux vers 1 et 3, on a le schéma rythmique (1) + 3 + 3 + 3, rythme « oral » qui ne tient pas compte des règles de la versification traditionnelle.
Ces effets rythmiques sont soulignés par les effets sonores. La sonorité [oez] domine dans le poème, à la fois à la rime et en rime intérieure. D’autres sons doux et assourdis ([], [o], [e], [m], [s]) complètent l’atmosphère d’engourdissement propice à un sommeil que métaphoriquement, le poète rapproche de la mort.
Autant que par son état d’engourdissement, la jeune fille se caractérise par les liens étroits qu’elle entretient avec le décor et les éléments naturels qui le composent. Le personnage féminin semble faire partie intégrante de la nature dont elle apparaît comme l’une des composantes.
C’est ainsi que le poème rend compte d’un dialogue entre mouvement et immobilité, où la nature semble s’animer, tandis que la jeune dormeuse est pétrifiée, au point que son image appelle la métaphore de la mort que nous évoquions plus haut. La seule action rapportée au personnage féminin est purement instinctive, voire passive : « ton corps [...] respire le soleil ». Mais c’est la « vague » qui se « glisse », « flaire » ou « vient lécher » le corps de la jeune fille. Une nature animée prend en quelque sorte possession du personnage, figé dans une immobilité dont rend compte l’absence de verbes conjugués dans les strophes 1, 2 et 4.
Dans l’abandon de son sommeil, la dormeuse est en symbiose totale avec le paysage de mer et de sable où elle dort. « Nageuse » sortie de la mer, elle est « eau » elle-même, comme ses « cheveux ruisselants ». L’eau, qu’elle soit mer ou « pluie », sert ici à affirmer sa féminité même. Mais la femme est aussi lumière comme « le soleil » et chaleur (vers 16). Pour ces différentes raisons, elle n’est pas ressentie (contrairement au poète) comme un corps étranger dans le cadre naturel. En effet, elle ne diffère en rien des éléments qui l’entourent.
Comme une nouvelle Vénus sortie des flots, elle appartient à la nature qui la possède. Immobilité et inconscience l’intègrent au paysage et la séparent du poète amoureux qui la contemple. On ne peut qu’être frappé par les images à la fois concrètes et sensuelles qui décrivent la relation entre la jeune fille et la nature sur le mode de la relation amoureuse. Dans la strophe 3, pivot du poème, la vague « flaire » et « vient lécher » les jambes de la femme. C’est dans cette strophe centrale que la relation exclusive est identifiée. Elle est néanmoins préparée dès la strophe 2 par les comparaisons des vers 5 et 6 et le parallèle établi par le poète entre la femme et les phénomènes cosmiques : « mon jour, ma nuit », expression à laquelle fait écho l’image du vers 16, « mon étoile légère ».
Dans son sommeil, la femme aimée devient étrangère au poète. Fuyante, elle lui échappe, perdue dans son sommeil, et dans la symbiose avec la nature, comme Eurydice dans la mort. De ce rêve empli d’éléments naturels, le poète se sent exclu.
Le poète amoureux, en contemplation devant la jeune ondine qui lui paraît différente et transfigurée dans son sommeil, laisse libre cours à l’expression de sentiments marqués à la fois par la jalousie et le désir.
La jalousie, indissociable du sentiment d’exclusion, jaillit de presque toutes les expressions d’adoration amoureuse du poète. C’est ainsi qu’il est jaloux des pensées et des rêves de la jeune fille qu’il sait ne pouvoir pénétrer, ce qu’exprime la répétition sémantique « rêveuse » / «songeuse » dans la première strophe. Les rêves de la jeune fille apparaissent en fait comme intimement liés à sa féminité même, comme en témoigne la fusion de l’élément aquatique et du sommeil, donc du rêve, au vers 9. Le poète est jaloux aussi de devoir partager la femme aimée avec les éléments naturels qui eux peuvent la toucher, comme le « soleil » qui baigne son corps (vers 11), ou encore le « vent », « la mer » et « le sable » (vers 14 et 15). Il est jaloux encore du temps consacré au sommeil comme s’il lui était volé. C’est ce dont témoignent des qualificatifs et des dénominations à valeur de reproches comme « distraite » ou « ma paresseuse ». L’abondance des adjectifs possessifs de la première personne marque le désir de possession. Ce désir est d’autant plus affirmé que ces possessifs précèdent les différentes dénominations de la femme. Au contraire, les adjectifs possessifs de la deuxième personne (strophe 3) marquent la douleur de la séparation.
Le poème n’est en effet pas un dialogue : il n’y a pas échange, mais plutôt appel pressant d’un poète amoureux. Cet appel renvoie à la quête de la femme qu’il croit perdue pour lui. Tel un cri, il est destiné à percer jusqu’à l’inconscient de la jeune fille endormie. C’est pourquoi le poète multiplie les appellations tendres et les juxtapose dans un effet d’accumulation qui s’étend à toutes les strophes, sauf la troisième. On notera aussi l’anaphore du pronom personnel « toi », qui marque l’insistance du poète à s’imposer à la conscience de la jeune fille - ou sa tentative de s’insinuer dans ses pensées et ses rêves. Le poème développe par ailleurs une sorte de mélopée d’amour, qui s’appuie sur des sonorités douces et envoûtantes en [oez] et le rythme régulier des vers. Il s’agit d’une mélopée insistante destinée à atteindre la jeune fille jusqu’au plus profond de son sommeil.
Dans sa quête amoureuse, le poète se nomme à la première personne (vers 8, 17, 18). Le jeu des pronoms personnels témoigne en réalité d’une relation unilatérale. Le poème est-il la plainte d’un amoureux qui aime plus qu’il n’est aimé, comme le suggèrent les dénominations « mon souci, mon oublieuse », ou encore « ma capricieuse » ? Tout poète est-il frère d’Orphée ? Toute femme désirée son Eurydice ?
« Dormante » est un poème d’amour où le poète mêle le bonheur d’aimer et la souffrance d’un cœur inquiet et incertain. Claude Roy y développe le thème éternel de la dualité de l’amour : à la fois source de joie et de peine. Le poète a su traduire ce déchirement à l’aide d’images concrètes qui sont pour beaucoup dans l’impression de sincérité que laisse son chant.