Après vingt ans de réflexion et de travail, Montesquieu publie en 1748 son ouvrage majeur, De l’esprit des lois, ou du rapport que les lois doivent avoir avec la constitution de chaque gouvernement, les mœurs, le climat, la religion et le commerce. La philosophie politique jusqu’alors, de Platon jusqu’à Hobbes, s’était intéressée à l’État ou à la société de manière générale. Ici, Montesquieu prend en compte les données particulières, naturelles ou culturelles, et fonde son raisonnement sur l’observation : il crée en l’occurrence la science et la sociologie politiques.
L’ouvrage comprend trente et un livres. L’auteur propose une typologie des gouvernements : le républicain, le monarchique, le despotique, qui se fondent respectivement sur la vertu ou la modération, l’honneur et la crainte. Il montre comment tous ces gouvernements peuvent tomber en décadence. Il explique la nécessité pour préserver la liberté de séparer, comme en Angleterre, les trois pouvoirs, l’exécutif, le législatif, le judiciaire. Il étudie l’influence du climat, du terrain, des mœurs, de la démographie et du commerce sur les lois humaines. Il compare enfin le droit romain au droit français et aux lois féodales. De nombreux points ont frappé les contemporains, et notamment la réflexion sur l’État et sur la liberté. Dans un passage célèbre, par exemple, Montesquieu prend position contre l’esclavage des nègres en proposant une ironique apologie de cette pratique barbare.
Mais cette liberté dont parle Montesquieu a suscité des interprétations divergentes. Pour les uns, l’auteur défend surtout les libertés particulières de la classe féodale, dont les pouvoirs, en effet, ont été confisqués par le roi. Pire encore, il défend peut-être la liberté sauvage du capitalisme mercantile. D’autres, au contraire, ont vu en lui le précurseur de la pensée socialiste, car il a insisté sur le rôle nécessaire de l’État et de la vertu des hommes dans la vie sociale. Réformiste ou réactionnaire, il a inspiré, en tout cas des penseurs très divers. Quoi qu’il en soit, Montesquieu n’en demeure pas moins une figure de premier plan, et son œuvre capitale fait le lien entre l’humanisme et le stoïcisme* chrétiens des siècles précédents et la pensée nouvelle des philosophes de son temps.