Deux ans après La guerre de Troie n’aura pas lieu, Jean Giraudoux crée Électre. Il puise une fois de plus aux sources de la mythologie antique, pour mettre en scène ce personnage que les dramaturges grecs, Eschyle, Sophocle, Euripide, avaient déjà exploité. Par ailleurs, la vogue de la mythologie au théâtre en ce début du xxe siècle, et particulièrement du personnage d’Électre, explique aussi le choix du sujet.
Mais l’originalité de Giraudoux réside dans l’infléchissement qu’il fait subir à la légende. La légende raconte que Clytemnestre et son amant Egisthe, qui règne désormais sur la cité, ont assassiné le roi Agamemnon, à son retour de la guerre de Troie. Mais Oreste, encouragé par sa sœur Électre, venge son père en tuant sa mère et cet indigne amant. Le meurtre d’Oreste est à la fois justicier, parricide et tyrannicide.
Or, à l’intrigue classique, Giraudoux ajoute cet élément nouveau, la guerre. En 1937, la menace qui pèse sur les relations franco-allemandes se fait de plus en plus lourde et précise, et c’est pourquoi ce motif angoissant apparaît dans le texte. En effet, Egisthe, accusé par Électre, demande un délai d’un jour, afin de sauver la ville, assiégée par les Corinthiens. Électre refuse, intransigeante. Et tandis qu’Egisthe tombe sous les coups d’Oreste, la ville tombe sous les assauts des ennemis. Par conséquent, le drame met en lumière un conflit entre deux valeurs essentielles, l’ordre et la justice. Il faut qu’Egisthe vive, pour sauver l’ordre et la cité menacée, il faut qu’Egisthe meure, pour honorer la justice et le sang versé.
Là n’est pas la seule innovation de Giraudoux. Il traite ce sujet tragique incontestable à la manière d’une intrigue policière et bourgeoise, tout en respectant classiquement les trois unités de temps, de lieu et d’action. L’intrigue, en effet, menée comme une enquête, avec interrogatoires, confrontations et reconnaissances, permet à Électre de découvrir la vérité, et certains personnages, comme le Président, et son Agathe d’épouse, qui le cocufie plaisamment, appartiennent manifestement au théâtre de boulevard.
De la sorte, les passages grotesques ou parodiques côtoient des moments plus lyriques* ou tragiques, comme la déclaration d’Égisthe : « Entre les espaces et les durées, toujours en flirt, entre les gravitations et les vides, toujours en lutte, il est de grandes indifférences qui sont les dieux. » Ou encore celle du jardinier : « C’est cela que c’est la Tragédie, avec ses incestes, ses parricides : de la pureté. »