Denis Diderot naît à Langres en 1713. Il fait ses classes chez les jésuites*, et à treize ans, il reçoit la tonsure. Il poursuit ses études au collège Louis-le-Grand, et connaît à Paris une vie de bohème, qui l’éloigne définitivement de l’Église. Il vit d’expédients divers, fréquente les cafés, rencontre Rousseau et Condillac, et se marie secrètement avec une lingère, Antoinette Champion. Il traduit des essais en langue anglaise, et se fait connaître par ses Pensées philosophiques, en 1746, et par son roman libertin*, deux ans plus tard, Les Bijoux indiscrets. La même année, il obtient le privilège nécessaire pour l’Encyclopédie, dont il devient, avec d’Alembert, le maître d’œuvre. Mais l’athéisme* présumé de sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient en 1749 le conduit en prison à Vincennes. Il faut l’intervention des libraires, engagés financièrement dans l’aventure de l’Encyclopédie, pour qu’il soit enfin libéré.
Consacrant à l’Encyclopédie la plupart de ses efforts, il trouve cependant un peu de temps pour publier ses Pensées sur l’interprétation de la nature, et se lance dans le théâtre avec Le Fils naturel, dont une phrase, que Rousseau prend pour lui, met un terme à leur amitié : « Il n’y a que le méchant qui soit seul ». Diderot publie encore Le Père de famille, ses Entretiens avec Dorval, et le Discours sur la poésie dramatique.
Mais les difficultés liées à l’Encyclopédie s’accumulent, attaques, condamnations, et un des adversaires de l’Encyclopédie, Palissot, publie la comédie des Philosophes. Diderot persévère néanmoins. Il donne des comptes-rendus de Salon de peinture, rédige un Essai sur la peinture, le Paradoxe sur le comédien en 1773, et après La Religieuse, continue dans le genre romanesque* avec Le Neveu de Rameau et Jacques le fataliste et son maître, sans négliger pour autant la philosophie avec Le Rêve de d’Alembert et le Supplément au Voyage de Bougainville en 1772.
Invité à la cour de Catherine II de Russie, il s’y rend en 1773, sans croire véritablement au despotisme éclairé, et lui propose en vain des projets de réforme politique et sociale. De retour à Paris, sa philosophie matérialiste se confirme dans l’Entretien d’un philosophe avec la Maréchale de ***, et il critique la tyrannie dans l’Essai sur la vie de Sénèque le philosophe. Il s’éteint en 1784.
Diderot développe dans ses ouvrages une philosophie matérialiste. Face au dualisme de Descartes qui distingue l’âme du corps, il propose une vision moniste de la matière, c’est-à-dire que, pour lui, seule existe la matière, et la matière est mouvement. Elle comprend en elle à l’état latent des germes de vie, et il énonce la thèse de la « sensibilité, propriété universelle de la matière ». L’homme n’est rien d’autre qu’une organisation biologique d’organes qui permettent les sensations et, partant, les sentiments et les idées. Ce système lui permet de faire l’économie de l’hypothèse de l’existence de Dieu, d’où les accusations d’athéisme* qui sont portées contre lui. Mais il pose le difficile problème du déterminisme*, car si l’homme n’est que matière, il est donc déterminé par les lois de la matière, et ne dispose d’aucun libre arbitre*, position fort radicale que Diderot soutient en effet.
Peut-on encore parler de morale, si l’homme n’est pas libre ? Oui, dans la mesure où il est certain, quelle que soit leur origine, qu’il existe des actions bénéfiques ou maléfiques. Diderot ne fonde pas la morale sur Dieu, mais sur le bonheur et la nature intime de l’homme, car seule la vertu permet d’atteindre la félicité. Sa pensée touche aussi à la politique. Il récuse le principe des tyrannies au nom du droit naturel, et fonde la légitimité du pouvoir sur un pacte nécessaire. Mais cette pensée si mouvante et si évolutive se laisse mal enfermer dans le carcan d’un système.
Dans le domaine des arts, l’apport de Diderot n’est pas moins considérable. Sa foi en la raison n’est nullement incompatible avec la sensibilité artistique dont il fait preuve en général. Il réhabilite les passions : « sans elles plus de sublime, soit dans les mœurs, soit dans les ouvrages ; les beaux arts retournent en enfance, et la vertu devient minutieuse ». S’opposant en cela à l’esthétique classique, et précédant par ailleurs les romantiques, il déclare : « La poésie veut quelque chose d’énorme, de barbare, de sauvage ». Dans ses Salons, il se montre sensible à la grâce vivante des tableaux, à la poésie des ruines et des ténèbres, au spleen enfin. Dans ses romans, il adopte une liberté de ton et de conversation, une désinvolture à la limite de l’insolence, et tout à fait savoureuse. Cet esprit libertin* ne craint guère l’obscénité. Il aime à peindre ce qui semble marginal, étrange, curieux, témoin cet original qu’est le neveu de Rameau. Et son théâtre enfin se veut une imitation naturelle des mœurs, des sentiments, des conditions familiales et sociales.