Pierre Corneille naît en 1606 dans une famille bourgeoise confortablement installée à Rouen. Au collège des jésuites*, il reçoit une solide formation religieuse et humaniste. En 1624, il est reçu comme avocat stagiaire au parlement de Rouen, et quatre ans plus tard, il acquiert une charge d’avocat du roi. Mais aux procédures juridiques il préfère les muses, qui le consolent de son amour contrarié pour Catherine Hue. Mélite en est sans doute un souvenir ému. Après le succès de cette pièce jouée à Paris en 1629, il compose toute une série de comédies : Clitandre, La Veuve, La Galerie du Palais, La Suivante, La Place royale, L’Illusion comique. En 1635, il obtient de Richelieu une importante pension.
Dès lors, Corneille décide de se lancer dans le genre tragique, et après Médée, il fait jouer Le Cid qui enthousiasme le public parisien ; Boileau affirme même : « Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue ». Malgré le triomphe de la pièce, une querelle mémorable est engagée, et la jeune Académie française créée par Richelieu, en guise d’arbitrage, publie ses Sentiments, dont les conclusions ne manquent pas de froisser le poète.
Mais il se remet au travail avec Horace, Cinna, Polyeucte, La Mort de Pompée et la comédie du Menteur. Il épouse Marie de Lampérière, dont il aura sept enfants. Corneille est désormais reconnu, il publie ses œuvres complètes, il est reçu à l’Académie française en 1647. Il compose encore Rodogune, Théodore, vierge et martyre, Héraclius, et Andromède, une pièce à machines, commandée par Mazarin pour le carnaval de 1648. Mais les allusions politiques de Nicomède, en qui le public reconnaît Condé, mécontentent Mazarin, et l’échec de Pertharite rebute Corneille.
Après quelques essais de vers galants et de poésie pieuse, et notamment une adaptation en vers de quelques chapitres de L’Imitation de Jésus-Christ, Corneille revient au théâtre. Il songe à éditer ses œuvres complètes, écrit pour chaque pièce un « Examen », et pour l’ensemble, trois Discours sur le poème dramatique. Par ailleurs, Œdipe, La Toison d’or, Sertorius, et Sophonisbe sont applaudis. Mais bientôt, la faveur du poète décline. À Tite et Bérénice, le public préfère la Bérénice du jeune Racine, Iphigénie l’emporte sur Suréna, en 1674. Dès lors, le poète se retire dans l’oubli et dans sa famille, où il meurt dix ans plus tard.
Par la diversité de ses talents, par l’unité d’un style, par sa réflexion critique aussi, Pierre Corneille s’est imposé comme l’un des maîtres du théâtre français. Sa conception de l’art apparaît dans ses nombreuses préfaces et dans ses Discours sur le poème dramatique. Corneille cherche à concilier les exigences des doctes et le plaisir des mondains, et il ne cesse de renouveler la formule de ses succès. À la rigueur classique de Cinna succède le baroquisme flamboyant de La Toison d’or, pièce à machines. Corneille cultive à la fois la tragédie et la comédie, qui retrouve grâce à lui, loin des farces grossières ou basses, ses lettres de noblesse. Dans ses tragédies, il s’inspire de thèmes chrétiens (Polyeucte) ou de mythes païens (Médée), de l’histoire antique (La Mort de Pompée) ou médiévale (Le Cid).
Malgré tout, se révèle une unité profonde, qui tient à la situation du héros mis en scène, en quête de gloire au sein d’un monde en mouvement. L’originalité du théâtre cornélien tient à la dimension éminemment politique de ses œuvres. Les premières pièces mettent en scène la naissance du héros, qui conquiert une liberté nouvelle et farouche. Mais bientôt se pose la question de l’État, et le héros se trouve face au roi. Dès lors, les valeurs individualistes, chevaleresques et féodales s’inclinent devant les valeurs collectives, politiques et monarchistes. Le héros libre devient serviteur de l’État, comme le Cid ou Horace. Mieux, à l’instar d’Auguste, il est l’État.
Mais l’État entre en crise dans les pièces suivantes. La légitimité douteuse des dirigeants, à l’instar du tyrannique Attila ou de la criminelle Cléopâtre, dans Rodogune, provoque la sécession du héros, rebelle comme Nicomède. Le pouvoir et la justice se trouvent divisés. Les rois paraissent mélancoliques, comme Tite, faibles, médiocres, et despotiques cependant. Ils se retournent contre le héros, dont la gloire éblouissante est pour eux un crime insupportable. Face à un souverain ingrat, Suréna choisit l’exil et la mort, car il est condamné à « toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir ». À sa bien-aimée Eurydice, il répond, superbe et pathétique : « Non, je ne pleure point, madame, mais je meurs. »
Finalement, les pièces de Corneille suscitent moins les rires ou les larmes que l’admiration. Les héros généreux forcent la sympathie par leur volonté sublime et leur sens de l’honneur, et tâchent de surmonter les périls de la vie, de l’amour et de la mort.