La même année, Rousseau fait paraître ces deux ouvrages, Émile et Du contrat social. Les thèses politiques de celui-ci répondent manifestement au projet pédagogique de celui-là, car il s’agit d’instituer et de réformer à la fois l’homme et le citoyen. Rousseau considère moins les faits que leurs fondements, il décrit non ce qui est, mais ce qui devrait être : il réfléchit en philosophe.
Du contrat social ou principes du droit politique a pour objet la légitimité du pouvoir dans l’État, que Rousseau fonde sur le contrat social que passent les citoyens entre eux et avec le souverain qu’ils se choisissent. L’auteur postule en effet la liberté de l’homme, qui lui est naturelle, mais « l’homme est né libre, et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d’être plus esclave qu’eux. » Or pour Rousseau, le droit ne se fonde ni sur la force, ni sur l’intérêt, ni sur les faits, ni même sur la nature, et encore moins sur Dieu. Il se fonde sur la volonté de l’homme qui, par une convention collective, renonce à sa liberté naturelle pour obtenir la liberté civile dans l’État. La souveraineté, c’est-à-dire l’autorité politique, découle de la volonté générale, et réside essentiellement dans le peuple, le gouvernement quel qu’il soit n’étant qu’un pouvoir subordonné à la volonté générale, et mandaté par elle.
Dans ce traité, Rousseau, qui n’a cessé par ailleurs de critiquer la corruption des hommes, propose à ce problème moral une solution politique, inspirée par une démarche philosophique. Il a en tête, en écrivant, les cités antiques, Genève, sa patrie, Venise qui l’a tant déçu, le despotisme en général. La clarté de l’ensemble et sa force de conviction en feront le livre de chevet des révolutionnaires français, et la base de la science et de la philosophie politiques modernes.
Les interprétations n’ont pas manqué, même les plus opposées. Certains y ont vu une utopie, d’autres, une apologie de la démocratie directe, les derniers une anticipation du totalitarisme. Ce qui est certain, c’est que cet ouvrage consacre Rousseau, avec l’Allemand Emmanuel Kant, qu’il a d’ailleurs inspiré, comme le plus grand philosophe du siècle.