Laissé pour mort, sous des monceaux de cadavres, sur les champs de bataille de l’Empire, le colonel Chabert, dix ans après, prétend retrouver sa femme et sa fortune. Avec l’aide de l’avocat Derville, il intente un procès à son épouse, qui refuse de le reconnaître. Par crainte du scandale, la comtesse Ferraud accepte malgré tout une transaction, et demande à son ancien époux de faire le mort pour ne pas troubler son bonheur à elle. L’apparente affection de la comtesse cache mal son égoïsme. Le colonel Chabert, dégoûté de la vie, se retire du monde, et finit, à l’hospice, dans la misère et la folie.
Chabert, c’est l’ancien combattant, l’homme de peu devenu colonel grâce à l’Empire, mais que les temps nouveaux de la Restauration condamnent à l’oubli, si ce n’est à la mort. C’est aussi le revenant, ressuscité d’entre les morts, qui fait figure de mort vivant. Pareil à un fantôme, il est pris pour un fou, et il le deviendra. Anobli par l’Empereur, le héros finit pauvre hère : « quelle destinée, conclut Derville. Sorti des Enfants trouvés, il revient mourir à l’hospice de la Vieillesse, après avoir, dans l’intervalle, aidé Napoléon à conquérir l’Égypte et l’Europe. »
L’ayant cru mort, la femme du colonel Chabert est devenue la comtesse Ferraud, et refuse de restituer son nom et sa fortune au héros. Cette ancienne fille des rues a désormais des enfants, une position sociale. Son égoïsme meurtrier fait d’elle le bourreau de Chabert, car elle craint d’être la victime de son nouvel époux, qui pourrait bien la renvoyer à la rue. La société, et non sa nature propre, l’oblige à faire mourir Chabert une seconde fois. Quant à Derville, le double de l’auteur, il est à la fois le témoin de cette histoire et l’auxiliaire de Chabert.
Le Colonel Chabert repose sur une structure légendaire de base : c’est, depuis Martin Guerre et Boris Godounov, le mythe de l’Usurpateur et de la légitimité bafouée. Dix ans après l’annonce de sa mort, Chabert est un second Ulysse, plus malheureux que son illustre prédécesseur. Mais sur ce fond de légende, l’auteur bâtit une intrigue judiciaire, un drame psychologique, car c’est ici la vaine quête d’une identité perdue, et une peinture historique et sociale qui dénonce, après la chute de l’Empire, l’hypocrisie et l’égoïsme de la société bourgeoise de la Restauration.