En 1640, Corneille fait jouer Cinna, tragédie en cinq actes et en vers : Émilie, protégée par l’empereur Auguste, songe malgré tout à le tuer, car il a jadis condamné son père. Auguste, las du pouvoir, est prêt à abdiquer. Cinna lui conseille de renoncer à ce projet, car il tient, pour mériter l’amour d’Émilie, à aller jusqu’au bout de la conjuration et du meurtre. Mais le complot est éventé. Auguste hésite entre le pardon et la punition. Cinna assume ses intentions ; Émilie, qui survient, apprend à l’empereur accablé qu’elle est l’origine de la conspiration, et Maxime*, qu’Auguste croyait fidèle, se révèle à son tour. Cependant, l’empereur, magnanime, pardonne aux conjurés.
Pour écrire Cinna, Corneille puise son inspiration à la fois dans la littérature et dans l’histoire. Il cite en effet sa source, un passage du traité De la clémence du philosophe latin, Sénèque, repris dans le livre I des Essais de Montaigne, qui loue Auguste d’avoir usé de clémence face à Cinna. Mais surtout, à travers l’histoire romaine, Corneille évoque implicitement le climat de conspiration en France autour de Richelieu. Si le ministre avait su abattre les révoltes publiques et armées, restait encore le sourd mugissement des complots meurtriers, ourdis par les seigneurs rebelles. Les deux rois précédents, Henri III et Henri IV, avaient péri par le fer, et il se trouvait encore des théoriciens pour condamner la monarchie absolue, et justifier le régicide. Le sujet de cette tragédie est donc particulièrement grave et sérieux, puisqu’il concerne des intérêts d’État réels et fondamentaux.
Avec Cinna, se pose le problème du héros dans l’État. Cinna, héroïque en cela, désire ôter la vie à l’homme qui a ôté au peuple la liberté. Mais ce faisant, il met en péril l’ordre et le salut de l’Empire. Pour Auguste, se pose la question de la légitimité du pouvoir qu’il a conquis par la force, et qu’il entend désormais conserver par la générosité. Amer et fatigué de tant d’intrigues, il transcende son désir de vengeance pour assurer la paix. De la sorte, il donne au pouvoir un fondement éthique et politique. Le héros cornélien sublime est devenu un prince magnanime : c’est là sa majesté nouvelle.