Caligula, drame en cinq actes qu’Albert Camus publie en 1944, est le troisième volet de sa trilogie de l’absurde avec L’Étranger et Le Mythe de Sisyphe. Pour cette pièce, il s’inspire de l’ouvrage de l’historien latin, Suétone, Vies des douze César, mais il donne à son héros une valeur et une signification tout à fait originales.
Caligula, le jeune empereur, a la douleur de perdre Drusilla, sa sœur et son amante. Il s’enfuit, il s’égare, et comprend alors cette terrible vérité : « les hommes meurent et ne sont pas heureux. » Il revient, et pousse jusqu’à son terme ultime la logique absurde de la condition humaine. C’est lui désormais qui incarne le destin, et il enchaîne crime après crime. Les flatteurs applaudissent, les autres se rebellent. Caligula transforme ses sujets en pantins, qui se révèlent enfin, assujettis à sa fantaisie cruelle. Mais il refuse de s’opposer aux complots. Il veut forcer les hommes à refuser l’absurde. Il tombe sous leurs coups.
L’absurde est manifestement au centre de cette pièce, et il éclate dans le scandale qu’est la mort. Caligula en fait la cruelle expérience en perdant Drusilla. Il a beau être empereur, il n’a aucun pouvoir qui lui permette de vaincre la mort. Porté par une logique insensée, il décide alors d’être le destin, puisqu’il ne peut le vaincre. Les hommes entre ses mains cessent d’être des hommes. Sa liberté consiste à nier celle des autres. Et pour finir, il s’abandonne à la mort, de toutes manières inéluctable, puisque tout homme est un être-pour-la-mort.
Caligula est plus ambigu encore qu’il n’y paraît. Son amour incestueux pour Drusilla, son incapacité à élaborer un travail de deuil, cette névrose obsessionnelle où se mêlent désir (Éros), désir de vivre, et de mourir (Thanatos), ce sadisme qui se résout en masochisme, sont autant d’éléments qui permettent une lecture psychanalytique du personnage. Par ailleurs, son désir de prendre « le visage bête et incompréhensible des dieux », son effort surhumain pour s’affranchir des lois et affirmer ses propres valeurs, permettent aussi une lecture nietzschéenne de la pièce, plus sensible encore dans les premières ébauches. Mais en 1944, sous l’Occupation, Camus donne à son texte une portée politique, et il transforme le tyran nihiliste* en messie salvateur : « il est enfin venu un empereur pour vous apprendre la liberté ». On passe ainsi de la conscience de l’absurde à la nécessité de la révolte.