Raconter la vie de Beaumarchais, ce serait l’affaire de plusieurs romans. Cet homme qui fut tour à tour horloger, maître de musique, homme d’affaires, armateur, diplomate, agent secret et dramaturge, connut une existence trépidante. Pierre Augustin Caron, fils d’un horloger parisien, a vingt ans à peine lorsqu’il invente un nouveau mécanisme de montre : l’échappement à ancre. Cette invention remarquable, qu’on tente de lui ravir, lui vaut de devenir horloger du roi, et par la suite, professeur de harpe des filles de Louis XV. M. Francquet, dont il obtient la charge à peu de frais, meurt peu après. Il convole alors en justes noces avec la veuve, qui meurt à son tour l’année suivante, sans qu’il puisse pour autant récupérer l’héritage ; il n’a pas tout perdu, par elle, il a gagné un nom : de Beaumarchais.
Il a de l’entregent : il gagne les faveurs du banquier Paris-Duverney, qui vient de construire l’École militaire, et devient son associé. Il est aussi secrétaire du roi et lieutenant général des chasses de Paris et gagne ainsi ses titres de noblesse. En Espagne, il sollicite le roi, et poursuit Clavijo, qui a séduit sa sœur. De salon en salon, il brigue l’adjudication des marchés coloniaux en Louisiane. En 1770, Beaumarchais est accusé par un héritier de Duverney d’avoir falsifié le testament du défunt, il perd sa seconde femme, est attaqué par les parents de sa première épouse, tente de corrompre le juge Goëzman par l’entremise de sa dame, se retrouve en prison et risque la galère. Mais il se sort de ce mauvais pas, retrouve les faveurs de la cour et accomplit pour le compte du roi quelques délicates missions en Angleterre. En 1776, le voici armateur, il vend secrètement, avec l’appui du roi, des munitions aux insurgés américains, qui lui seront bien mal payées. L’année suivante, il fonde la Société des auteurs, pour faire reconnaître la notion de droit d’auteur. Il entreprend aussi d’éditer les œuvres de Voltaire.
Vient la Révolution. Il est accusé de vendre des armes à la contre-révolution, de spéculer sur le blé, il s’enfuit, revient, brasse des affaires multiples, projette de percer l’isthme de Panama, de construire un ballon dirigeable... Il meurt en 1799, foudroyé par une attaque d’apoplexie, après une vie fort remplie.
Dans le tourbillon de ses activités innombrables, Beaumarchais a trouvé le temps de composer des pièces fort diverses. À partir de 1760, il écrit plusieurs parades, pièces brèves et très libres, bouffonnes et licentieuses, dont l’inspiration et la manière se retrouvent parfois dans les comédies ultérieures. Citons entre autres Les Bottes de sept lieues et Jean-Bête à la foire. Ses deux drames larmoyants, Eugénie ou la Vertu du désespoir en 1767 et Les Deux Amis ou le Négociant de Lyon en 1770 n’ont guère de succès, mais Le Barbier de Séville et le Mariage de Figaro en 1787 finissent par percer.
Deux concepts-clés résument l’esthétique du dramaturge : la vérité et l’émotion. Le drame se veut une imitation de la nature et de la vérité des hommes, la bourgeoisie, le peuple en général. Il s’intéresse non aux caractères universels ou aux passions éternelles, mais aux conditions sociales effectives. Soucieux de naturel, le drame use donc de prose et non de vers, recourt à la pantomime*, tous ces soupirs, cris et jeux de scène capables de traduire et de communiquer l’émotion dramatique. Il fait rire ou pleurer selon les cas, parfois au cours d’une même pièce, car dans la vie, on rit et on pleure. Le drame en général, et Beaumarchais en particulier, s’intéressent beaucoup à la mise en scène, car elle contribue puissamment à la vérité et à l’émotion. Le Barbier, par exemple, abonde en didascalies*, c’est-à-dire en indications scéniques concernant le décor, les costumes des personnages, les jeux de scène. Un spectacle plus libre, volontiers moralisateur, telle est l’esthétique du drame, en tout cela opposée à celle du classicisme.
La gaieté est l’ingrédient principal des comédies de Beaumarchais. Dans Le Barbier de Séville, il croque sans pitié les personnages types qu’il met en scène ! Brid’oison, le juge abruti, Bazile, le maître de chant sournois, Bartholo, le barbon jaloux. L’intrigue rebondit quasiment de scène en scène, le dialogue est vif, les répliques enlevées. Et quand le spectateur craint une issue malheureuse au destin des héros, quelque opportune pirouette rétablit la situation. Dans Le Mariage de Figaro, la bonne humeur s’accorde à la dimension politique de la pièce. L’insolence abusive du comte est dénoncée, ses privilèges aussi. « Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? se récrie Figaro. Vous vous êtes donné la peine de naître et rien de plus. »