D’inspiration autobiographique, ce récit de Marguerite Duras relate la vie d’une mère et de ses deux enfants en Cochinchine. Propriétaire d’une concession incultivable, la mère tente désespérément de construire un barrage contre le Pacifique, qui inonde régulièrement ses terres. La misère, la lassitude, la mort enfin l’emporteront.
Le thème principal est sans doute le désir, qui seul, pourrait arracher les personnages à l’enlisement du quotidien. Alors que la mère, depuis la mort de son époux, a renoncé à tout amour, pour se consacrer exclusivement à la concession, les enfants tentent d’échapper à la misère par le désir, le désir d’une rencontre qui apporterait rêve et argent. Joseph, le fils, vingt ans à peine, amateur de chasse, ayant « couché avec toutes les femmes blanches de Ram en âge de coucher. Avec toutes les plus belles indigènes de la plaine » aussi, finit par tomber sur une femme plus riche et plus âgée que lui. Suzanne, avec l’accord de sa mère, se laisse courtiser par M. Jo, qui lui offre finalement un diamant, par Barner, qui propose de l’épouser « contre 30 000 francs ». Elle devient l’objet d’un ignoble marchandage, se prostituant presque pour contenter provisoirement les désirs voyeurs de M. Jo, dont tout le monde se moque.
Le désir n’est ici qu’un dérivatif à la misère où la famille est maintenue par les pratiques malhonnêtes et corrompues de l’Administration coloniale. La mère, ancienne institutrice, avait rêvé d’exotisme colonial, et se retrouve sans époux, sans argent, sur une terre sans ressources, mais soutenue encore par « l’artifice coutumier d’un espoir imbécile ». Plus misérables encore sont les indigènes, que l’Administration, pourtant bien informée, place dans des compartiments qui se prêtent « très bien à la propagation de la peste et du choléra ». Les enfants naissent en nombre, « les bouches ouvertes sur leur faim », et meurent aussi nombreux dans la vase saturée où ils sont enterrés. Les ouvriers, plus malheureux que les bagnards de la colonie, qui sont du moins nourris, subsistent pour autant qu’ils consentent à prêter leurs femmes aux désirs des colons.
Le style du roman est âpre, la misère a son langage : les putains, les bordels, les salauds abondent. Parfois, le quotidien pathétique est évoqué avec plus de lyrisme, mais c’est alors une poésie sombre, soutenue parfois par l’humour noir : ce sont « les mangues de la misère », « cet éternel soleil-roi », « la grande rigolade du grand malheur ».