Arthur Rimbaud naît à Charleville. Adolescent, il se révolte contre sa mère austère, contre la morale, contre la religion. Élève brillant, ses vers latins étonnent ses maîtres, il est l’honneur et le souci de son établissement. Mais il trouve en Georges Izambart, son jeune professeur de rhétorique*, l’aide et l’encouragement dont il a besoin pour composer. Ses premiers vers français sont déjà très originaux. Les événement de 1870-1871, la guerre et la Commune de Paris le frappent. Ce jeune « bohémien » aux idées révolutionnaires, aux fugues coutumières, s’engage dans ses poèmes contre Napoléon III, contre la bourgeoisie, contre les catholiques.
En 1871, il vend sa montre, pour se rendre à Paris. Après un bref séjour, il rédige un Projet de constitution communiste, et écrit à Demeny la Lettre du Voyant, car il faut « changer la vie ». Il envoie à Verlaine quelques vers : « venez, chère grande âme, lui répond le poète, on vous attend, on vous désire. » À Paris, puis à travers l’Europe, se lie entre les deux hommes une orageuse idylle qui scandalise la bourgeoisie bien pensante. Au cours d’une querelle, Verlaine blesse Rimbaud, et est conduit en prison.
Rimbaud achève alors, en 1873, Une saison en enfer, qui semble un adieu aux « folies », à la révolte et à la poésie. Il poursuit aussi ses Illuminations. Mais il commence alors une nouvelle carrière d’aventurier à travers l’Europe, l’Asie et l’Afrique. Il vit d’expédients et de trafics douteux. Mais, en 1891, « l’homme aux semelles de vent » est rapatrié à Marseille où on l’ampute de la jambe droite. Il meurt à la fin de l’année.
La trajectoire fulgurante et mystérieuse de Rimbaud a suscité un mythe dont il est le héros.
C’est l’adolescent génial et révolté, celui dont la fraîcheur éternelle dénonce les raideurs de la société des adultes. Aux croyants, il répond : « Mort à Dieu ». Face à la bourgeoisie, il se fait communiste. Il est homosexuel, tant pis pour qui s’en fâche. Il est beau, il est jeune. Si sa mère l’ennuie, il prend la clé des champs. Pour prendre le train, il vend tout, ses livres de premier prix, sa montre. S’il n’a plus rien, qu’importe, il resquille, il voyage sans payer. On l’attrape, on le met en prison. Désormais, il voyagera à pied. Plus tard, il traversera à pied les Vosges, la Suisse et les Alpes, pour prendre le bateau vers l’Orient. Prêt à « monter sur tout comme sur un cheval », Rimbaud, c’est l’adolescence libérée, périlleuse, enthousiaste.
Rimbaud est le « voleur de feu ». Poète précoce, il a tout dit, ou presque à vingt-et-un ans. « Le poète, dit-il, est vraiment voleur de feu », à l’instar du Prométhée de la mythologie grecque, qui révéla aux hommes ce secret des dieux. Influencé d’abord par Hugo, le Parnasse* et Baudelaire, il prend très tôt son indépendance littéraire, et ce « Satan enfant » donne au poète une vocation spirituelle nouvelle : « Il faut être voyant ». Mais Rimbaud, météore, a gardé le silence, et ce silence, après vingt ans, n’est pas le moindre des éléments du mythe. Aboutissement paradoxal ? Échec de cette vocation poétique ? Échec sublime alors.
Rimbaud accomplit en son œuvre une véritable révolution poétique. L’ambition poétique est là : « Il faut être voyant, se faire voyant. » Oui, mais comment ? Par « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens », puis par l’alchimie du verbe. Puisque « je est un autre », il faut créer une langue nouvelle « de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs, de la pensée accrochant la pensée et tirant ». Les premiers poèmes sont assez hardis, mais la suite l’est bien plus, le vers libre, puis le poème en prose. Dès lors, il accomplit la prophétie et la modernité poétiques que Hugo ni Baudelaire, peut-être, n’avaient pu réaliser jusqu’au bout. La magie des visions hallucinées crée un monde nouveau, déchiré, superbe. « Je fixais des vertiges », dit le poète, et « je devins un Opéra fabuleux ».
Cette recherche de « l’âme universelle », de l’absolu, donne à croire au mysticisme de Rimbaud. Mais il recherche en fait au-delà poétique immanent, c’est-à-dire, qui réside dans la nature même de la poésie. Quand il parle du poète futur, il le décrit comme « un multiplicateur de progrès ! Cet avenir sera matérialiste, vous le voyez [...] La Poésie ne rythmera plus l’action : elle sera en avant. » C’est donc un mysticisme laïcisé.
La poésie de ce voyou-voyant portait en elle les germes les plus féconds de l’inspiration littéraire contemporaine, de Paul Claudel jusqu’à Jean Genet, en passant par les surréalistes.