Qu’ « une jeune sœur, jalouse de son aînée, saisisse l’occasion de lui prendre son fiancé, que le père soutienne l’aînée, la mère, la cadette, que l’aînée, malgré la déchéance survenue prête encore assistance à sa terrible sœur, et que cette dernière lui montre sa reconnaissance en la tuant ; et que les derniers moments soient ceux d’un pardon général », voilà l’histoire, en quelques mots, résumée par l’auteur. Mais au-delà de cette intrigue domestique et paysanne, quelles richesses comporte cette œuvre maîtresse de Paul Claudel !
Les personnages sont fortement marqués. Violaine figure dans la pièce le mystère de la Passion et de l’Incarnation. Par le baiser qu’elle accorde au lépreux, elle accepte de prendre sur elle son infamie à lui. Sa vie devient alors un calvaire, à l’imitation de Jésus-Christ. Mais elle accepte la souffrance physique et morale qui lui est infligée. Mieux, elle réussit à ressusciter le fils défunt de sa sœur méchante : c’est le miracle de Noël. Il renaît avec les yeux bleus de Violaine, sa mère vierge, en cette génération spirituelle. Elle meurt pourtant sous les coups de Mara. Vierge et Christ tout à la fois, Violaine est lumière et pureté.
Si, spirituellement, Violaine est la vraie mère, Mara, sa sœur, de par son nom, n’est que l’amère. Jalouse, odieuse, menteuse, ingrate et meurtrière, elle fait tout le malheur de Violaine qu’elle finit par tuer, après lui avoir demandé de sauver son fils. Mara est une femme âpre, sans cœur, mais non pas sans foi. Elle sent en Violaine cette pureté qui l’agresse. Elle sait que Violaine peut sauver son enfant. Mais elle la tue quand même. Mara est la révolte face à la grâce de Dieu.
Les lieux rustiques, en ce Moyen Âge finissant, cette lande où pourrit Violaine, cette Jérusalem terrestre où se rend Anne Vercors, le père, en pèlerinage, conduisent vers la Jérusalem céleste, ce lieu de gloire spirituelle, où nous appelle Dieu. Cet itinéraire religieux est scandé par les jours et les ans que dure cette intrigue, le rythme des saisons aussi, et les heures liturgiques, les Pâques du printemps, et l’hiver de Noël, lorsque renaît l’enfant. Le symbolisme du temps et de l’espace, des noms, donne la mesure de l’art de l’auteur. Il mêle aux éléments prosaïques de la vie paysanne les éléments poétiques du merveilleux chrétien. Le lyrisme des vers claudéliens est tempéré par un réalisme campagnard. Malgré la mort pathétique de Violaine, il n’y a rien à redire : « tout est action de grâces ».