Il est déterminant de bien comprendre l’énoncé d’un sujet de dissertation, afin d’éviter l’impardonnable hors-sujet qui fera refuser la moyenne même à une copie bien rédigée et bien organisée.
Il importe donc de suivre une démarche rigoureuse dans cette première étape du travail de la dissertation, d’autant plus indispensable que la dissertation formant un tout sur 20 points, il n’y a pas d’exercices annexes pour compenser une éventuelle erreur de fond.
Avant toute autre considération, afin d’éviter de tomber dans le hors-sujet, il faut se pénétrer du principe suivant : La dissertation n’est pas une question de cours ; elle est un exercice de rhétorique*.
Un tel principe peut paraître contradictoire avec tout ce qui a été dit dans la première séquence sur la nécessité de bien connaître l’œuvre et le cours pour aborder la dissertation. Il faut donc distinguer : la dissertation fait appel aux connaissances que l’on a acquises au fil de l’année, mais elle n’a pas pour but de les restituer ; son objectif est de les utiliser pour nourrir un raisonnement rigoureusement élaboré, ce raisonnement étant l’objet même de la dissertation.
Pour bien comprendre, effectuons un petit retour en arrière : jusqu’en 1995 la dissertation littéraire portait sur un sujet général ; il s’agissait pour le candidat de bâtir un raisonnement logique illustré d’exemples tirés de sa culture littéraire et artistique. On s’est aperçu que les candidats se détournaient de ce type de sujet, non pas tant parce qu’ils étaient incapables de raisonner, mais parce qu’ils manquaient de références culturelles.
La réforme a donc consisté à instaurer une dissertation sur programme, non pas pour le plaisir d’imposer un programme, mais pour donner aux candidats les références nécessaires à l’élaboration d’un raisonnement, raisonnement qui reste l’objet prioritaire de l’exercice.
Le danger est donc de chercher à replacer dans le développement le plus grand nombre de connaissances que l’on peut avoir sur l’œuvre, sans égard pour le problème posé par l’énoncé : on aura alors récité un cours, mais on n’aura pas rédigé une dissertation, et l’on sera vraisemblablement hors-sujet.
On aura donc tout intérêt à analyser l’énoncé le plus précisément possible, afin de déterminer sans ambiguïté la nature du sujet, et échapper ainsi à la tentation de se rabattre sur un cours sécurisant mais dangereux.
Exemple : Si vous tombez à l’examen sur un sujet du type : « Dans quelle mesure le personnage de Tartuffe justifie-t-il le sous-titre de la pièce, L’imposteur ? », vous aurez raison de vous souvenir d’un cours ou d’un exposé sur le personnage de Tartuffe ; mais vous devrez résister à la tentation de tout dire sur Tartuffe ; vous ne mobiliserez que les aspects du personnage susceptibles d’éclairer le problème posé par l’énoncé.
On vient de le voir, certains énoncés peuvent nous entraîner dans une voie apparemment facile, et finalement différente de ce qu’ils demandent en réalité : méfiez-vous des sujets trop évidents, ceux que l’on croit avoir compris à la première lecture ; ne vous jetez jamais dans la recherche des arguments sans vous être obligé à scruter le libellé pendant le temps nécessaire.
Par conséquent, on passera au moins un quart d’heure à analyser l’énoncé, parfois plus s’il est long ou complexe. On aura peut-être l’impression de perdre du temps ; qu’à cela ne tienne : on dit volontiers qu’une dissertation est à moitié faite lorsque l’énoncé a été analysé avec toute la précision voulue.
Exemple : « Selon un critique contemporain, tout roman de Malraux présente l’aventure sous trois aspects : “une aventure imaginaire et romanesque, une autre politique et sociale, une troisième enfin esthétique et métaphysique”. L’œuvre de Malraux que vous avez étudiée cette année répond-elle à cette affirmation ? » La plupart des candidats qui ont composé sur ce sujet en 1997 n’ont visiblement pas pris le temps d’examiner cet énoncé : ils se sont lancés généralement dans une description des éléments romanesques, politiques, et spirituels rencontrés dans le roman, sans réfléchir au problème posé ni définir les termes du libellé ; de nombreux développements partaient dans tous les sens et étaient affectés d’une terrible platitude. Il aurait bien fallu un quart d’heure de réflexion pour définir des termes comme « aventure », « imaginaire », « esthétique », ou « métaphysique »...
Les sujets appellent généralement le candidat à porter un jugement sur une citation ou à répondre à une question portant sur un des aspects de l’œuvre considérée ; une compréhension approximative des expressions qui composent cette citation ou cette question peut entraîner des erreurs sur l’objet de la dissertation ; en particulier, une attention insuffisante au sens des mots-clefs peut amener à déformer le sujet, et le glissement vers d’autres notions, souvent voisines, est une cause de hors-sujet.
Exemple : Dans l’énoncé proposé précédemment il est bien clair qu’une lecture trop vague des mots-clefs ne permettra pas de l’exploiter et de lancer une véritable réflexion ; si certains termes, comme « romanesque » ou « politique », se comprennent facilement, d’autres, comme « esthétique* » ou « métaphysique* », méritent réflexion et explication. La tentation est de se contenter de raconter les épisodes du roman où apparaissent les thèmes que l’on croit avoir compris, et de montrer quand Malraux invente de la fiction, quand il s’enracine dans un récit historique, et quand il fait de la philosophie. Ces thèmes font partie du sujet, mais envisagés superficiellement, ils ne donnent rien de bon.
Quels sont les mots-clefs d’un tel énoncé ? Dans l’ordre : « tout roman » (la totalisation doit toujours poser la question des exceptions et du cas particulier sur lequel on travaille) ; « aventure » (ce n’est pas seulement une intrigue, mais toute l’incertitude qui marque une destinée humaine) ; « imaginaire et romanesque » (toute la dimension de l’intrigue imaginée par le romancier à l’aide de personnages fictifs) ; « politique et social » (l’engagement des héros dans la société de leur temps, lié à l’engagement réel de l’auteur) ; « esthétique » (toutes les réflexions sur l’art qui émaillent un roman de Malraux, mais aussi l’art du romancier dans l’œuvre étudiée) ; « métaphysique » (les interrogations spirituelles et philosophiques sur le sens de la vie humaine). Ces mots-clefs doivent être expliqués également dans leurs relations les uns avec les autres : si une aventure romanesque n’a rien de surprenant, il faudra absolument définir ce que peut être une aventure politique et sociale, une aventure esthétique, une aventure métaphysique. Sans quoi on passera à côté de ce qui fait l’intérêt du sujet.
On aura donc soin de définir tous les mots-clefs, même ceux dont le sens paraît évident :
Préciser le rapport logique établi entre ces mots : opposition, confirmation, ressemblance, conséquence, cause, etc. Toujours dans le même exemple, nous avons vu qu’il était nécessaire d’établir les rapports entre le mot « aventure » et les adjectifs qui lui sont accolés ; mais il ne sera pas inutile non plus de comparer les adjectifs entre eux, pour voir s’ils sont compatibles, s’ils se complètent ou s’opposent, s’il y a une hiérarchie entre eux, si l’ordre dans lequel ils sont présentés est significatif ou non.
Notez toutes ces remarques au brouillon, de façon concise et utilisable dans la suite de la réflexion : c’est là que vous trouverez plus tard vos pistes de recherche.
L’énoncé peut se présenter sous deux formes :
Cette différence formelle n’a pas vraiment d’incidence sur l’analyse du sujet. On précisera seulement que dans le premier cas, l’analyse de la citation ne dispense pas de l’analyse de la question, puisque toutes deux orientent la réflexion.
Les questions sont d’une grande variété, dont voici les principales :
Ce type de question se rapproche d’autres formulations voisines : Dans quelle mesure cette réflexion s’applique-t-elle... L’œuvre X correspond-elle à ce jugement ? Dans quelle mesure l’œuvre X vérifie-t-elle cette affirmation ?
On jouit dans la dissertation d’une beaucoup plus grande liberté que dans le travail d’écriture du premier type de sujet. En effet, les consignes du travail d’écriture correspondent à des exercices différents (discuter, réfuter, ou étayer, résumer ou reformuler) ; dans la dissertation au contraire, la diversité des énoncés n’est qu’apparente : l’inventaire précédent montre que si certains sujets peuvent inviter à exposer les données d’une question, la plupart d’entre eux demandent, ou permettent, de conduire une réflexion critique sur cette question.
En outre cette simplicité des consignes s’accompagne d’une réelle liberté dans la manière de traiter le sujet, pourvu qu’on en respecte les termes.
Exemple : Quel intérêt un lecteur d’aujourd’hui peut-il trouver aux Fables de La Fontaine ? Vous répondrez à cette question à partir du livre des Fables que vous avez étudié (Japon, juin 1997). Un tel sujet peut aussi bien se traiter comme un exposé argumenté des différents centres d’intérêt que l’on peut y trouver, que comme un examen comparatif des différentes réponses possibles, afin d’en dégager la meilleure.
La relative latitude dont dispose un candidat devant un sujet de dissertation l’oblige en revanche à définir son objectif, puisqu’il existe plusieurs possibilités : c’est ce qu’on appelle poser le problème.
Cette étape du travail est déterminante, dans la mesure où elle aboutira à définir la ligne directrice de la dissertation ; c’est cette ligne directrice qui assurera la cohérence de l’ensemble.
Un sujet se comprend par rapport à une œuvre précise ; une même question peut prendre un sens très différent selon l’œuvre à laquelle elle s’applique. Il faut donc s’efforcer de comprendre le problème soulevé par l’énoncé dans l’œuvre en question.
Exemple : Une question sur la sincérité de l’auteur dans l’autobiographie* n’aura pas le même sens face aux Confessions de Rousseau que face aux Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand : chez le premier, la sincérité proclamée se heurte à la volonté d’autojustification ; chez le second, la sincérité semble le dernier de ses soucis, puisqu’il désire avant tout faire de sa vie une émouvante œuvre d’art.
Le candidat doit donc se poser les questions suivantes :
Si on répond directement à la question de l’énoncé, on court le risque de réduire la dissertation à un simple inventaire des éléments de réponse, privé de tout principe unificateur.
Il est donc indispensable de définir avec précision à quelle question le raisonnement va tenter de répondre : c’est la « problématique » qui va donner du nerf au développement, lui assurer son unité, et le rendre intéressant. À quoi bon en effet répondre à une question si on ne voit pas en quoi elle fait problème ? La médiocrité de la plupart des dissertations vient de là : on n’attend aucune réponse, puisqu’aucun problème n’a été soulevé.
Romantisme : courant littéraire qui privilégie la sensibilité individuelle par rapport à la démarche rationnelle ; le romantisme cherche généralement à toucher le lecteur par des images émouvantes ou violentes.
Égout désigne ici le lieu où se retrouvent tous les déchets de la société : appliquée à l’œuvre de Zola, cette métaphore désigne les milieux moralement ou socialement dégénérés que l’on trouve dans beaucoup de ses romans.
L’alliance de ces deux termes signifie que Zola chercherait à émouvoir le lecteur par des images sociales peu attrayantes.
L’expression « titre provocateur » vous invitera évidemment à nuancer les propos de ce critique, tout en laissant entendre qu’ils méritent réflexion. La date de 1931 situe également une époque où l’on ne craignait pas les excès de langage et où les querelles autour de Zola n’étaient pas complètement oubliées.
L’énoncé repose sur l’opposition entre « menteur » et « véritable », appliqués au récit et au sens : le récit d’une fable est menteur par définition, en ce sens qu’il est purement fictif, et la plupart du temps invraisemblable ; le sens est véritable dans la mesure où le message, ou la morale, correspond à une réalité humaine. « Menteur » est donc « fictif », et « véritable » est « véridique ».
Candide, ici en italique, désigne le conte, et non le personnage.
Prendre au sérieux signifie que l’on doit croire ce qu’il dit et lui accorder de l’importance. Cela pose évidemment le problème de l’ironie, ou de l’humour, contenus dans le conte, donc du recul que le lecteur doit ou non prendre par rapport au récit.
On retiendra, outre le « titre provocateur » et la date, dont on a parlé plus haut, le genre littéraire de l’article, qui laisse plus de liberté à son auteur, et donc relativise son affirmation.
La question posée vous invite à nuancer (« dans quelle mesure »), sans nier totalement (« confirme-t-elle »), et à vous appuyer vraiment sur le livre (« la lecture de L’Assommoir »).
Il s’agit d’une définition d’un genre littéraire : le sujet consistera donc à confronter les exemples particuliers des fables étudiées avec cette définition générale. On notera que cette définition est due à La Fontaine « lui-même », qu’elle doit donc être prise au sérieux malgré l’humour qui le caractérise, en essayant de la replacer dans son contexte : notre vision contemporaine peut-elle avoir un autre point de vue ?
« Peut-il » suppose un avis nuancé, puisqu’il laisse entendre qu’il serait difficile de le prendre au sérieux (par opposition à une formule moins ouverte comme « doit-il »).
Mots difficiles : « pacifisme militant », « licite ». Ces deux mots demandent des explications, sans lesquelles le sujet ne peut être compris : on précisera donc en quoi cette pièce milite pour la paix à tout prix, tout en expliquant pourquoi il est paradoxal qu’un écrivain d’extrême gauche trouve ce pacifisme intolérable (bien que ce paradoxe ne soit pas central pour le sujet, mais il faut bien comprendre) ; on définira ensuite l’adjectif « licite », en expliquant en quoi une telle littérature est condamnable.
Mots faciles : le mot « littérature » n’est pas difficile en soi, mais il est indispensable de définir quelle réalité il recouvre dans cet énoncé. Il s’agirait en gros de montrer que la littérature condamnée par l’auteur (mais non par son interlocuteur) est celle qui se contente d’une qualité artistique tout en n’étant pas satisfaisante moralement ou idéologiquement : c’est poser le problème de l’indépendance de l’art par rapport à la morale ou la vérité. On réfléchira donc à ce que signifie « excellent » sur le plan littéraire, et « intolérable » sur le plan des idées. On confrontera ensuite chacun de ces termes avec les éléments de la pièce, pour voir si elle justifie ce jugement « d’extrême gauche », et si l’on doit approuver ou non les réserves de Gabriel Marcel.
Rapport d’opposition entre « pacifisme militant » et « plan littéraire » (une question est justement de savoir si cette opposition est justifiée), entre « intolérable » et « excellent », mais également entre ces deux termes et « licite ». Ces oppositions sont au cœur du problème.
Ce problème peut être posé par sa psychologie, les idées qu’il représente, sa place dans l’œuvre, ou encore le courant littéraire auquel il appartient. À vous de trouver la meilleure porte d’entrée.
Certaines questions portent sur un aspect particulier de l’œuvre, d’autres sur son ensemble. N’oubliez pas les deux pespectives.
Le titre Les Fleurs du Mal évoque la séduction du mal, en même temps que les poèmes que Baudelaire tire du mal dont il souffre : un certain bien semble lié au mal ; au contraire, l’antithèse contenue dans le sous-titre Spleen et Idéal oppose plutôt un mal et un bien. Le problème est donc de trouver comment sortir de cette apparente contradiction en analysant la logique interne du recueil.
(La réponse passera alors par la remise en cause de l’idéal, qui n’est un bien qu’en apparence).
Si Dom Juan prouve sa séduction dans son attitude avec les femmes et son succès auprès d’elles, mais aussi par la fascination qu’il exerce sur son entourage, il est aussi capable de faire horreur, ou d’inspirer au moins la méfiance : le problème est donc de déterminer lequel des deux aspects l’emporte.
Les personnages de La Peste vivent une expérience redoutable et cruelle, mais peut-on dire qu’ils l’acceptent pleinement, dans la mesure où il y a en eux une grande part de cette révolte chère à Camus ? La dissertation va donc consister à définir ce qui domine chez ces personnages, en regardant leur diversité et leur évolution.
L’aventure d’un roman de Stendhal peut être passionnante, comme celle de La Chartreuse de Parme ; et pourtant l’auteur minimise son intérêt, en privilégiant les caractères. En observant ce qu’il en est dans le roman étudié, on cherchera à déterminer s’il faut vraiment que les caractères l’emportent sur l’aventure.