Émile Durkheim (1858-1917) : sociologue français considéré comme l’un des « pères fondateurs » de la sociologie. Il explique les faits sociaux par d’autres faits sociaux et non pas par l’addition de comportements individuels. Les faits sont des « manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu. Ils s’imposent à lui. » Durkheim a étudié les fondements de la solidarité sociale et de la cohésion d’une société. Ses principaux ouvrages sont De la Division du travail social (1893), Les Règles de la méthode sociologique (1895), Le Suicide (1897).
Depuis la Seconde Guerre mondiale, le travail a été l’élément fondamental pour intégrer les individus à la société. Dans la période actuelle de chômage, est-il toujours synonyme d’intégration ? Le chômage est-il la seule source d’exclusion ?
Les membres des sociétés modernes ont des fonctions de plus en plus spécialisées et différenciées. Plus le progrès technique avance, plus la spécialisation de chaque fonction, de chaque métier, devient pointue. C’est la division sociale du travail inhérente à l’évolution des techniques. Chacun remplit sa tâche au mieux, gagne en productivité et en efficacité par sa spécialisation mais devient dépendant des autres pour tout ce qu’il ne produit pas lui même. Les individus sont tous différents et complémentaires. Chacun a besoin du travail et de la production des autres. D’où un sentiment collectif d’utilité puisque chacun accomplit une tâche utile à tous, l’individu est un maillon d’une grande chaîne ; d’où aussi un sentiment de dépendance et de respect vis-à-vis d’autrui. La conscience collective des sociétés primitives disparaît et fait place à une conscience individuelle dans les sociétés modernes. Le sentiment d’appartenir à un tout, d’y être intégré forge la cohésion sociale et la solidarité entre les individus. D’autre part, cette interdépendance des membres de la société renforce les liens sociaux indispensables. Plus la division du travail est poussée, plus les liens sociaux sont denses. Le niveau culturel s’accroît.
Chez les Romains, le travail était réservé aux esclaves ; au Moyen Âge, les serfs et les vilains travaillaient, la noblesse se réservait les tâches les plus nobles. Jusqu’à la Révolution française, travailler n’était pas valorisé : le tiers état et la bourgeoisie produisaient sans être socialement récompensés. Aujourd’hui encore, dans les pays du tiers monde, le travail est souvent l’apanage des enfants (250 millions d’enfants travaillent dans le monde) ou des couches défavorisées de la société. En Inde, la division du travail correspond à la division de la société en castes. Les intouchables, impurs, héritent les travaux les plus durs et les plus repoussants. Cette division de la société y a une utilité plus économique que sociale et est justifiée par la religion.
La valorisation du travail et l’intégration par le travail sont récents. Depuis 1950, l’entrée des femmes dans la vie active par le biais du salariat correspond à une indépendance économique mais aussi pour elles à un changement de statut social. Par leur travail en tant que salariées, les femmes ont acquis non seulement une autonomie financière mais une indépendance vis-à-vis de leur famille, une reconnaissance et une intégration dans la société. Aujourd’hui, le statut de femme au foyer est plutôt socialement dévalorisé.
Travailler est devenu une valeur de notre société, valeur liée à la rationalisation des activités et au capitalisme (Weber). Les actifs qui produisent sont valorisés dans la société car ils permettent de faire vivre l’ensemble des individus. Le travail confère une dignité, une image positive de soi-même.
Le travail est un moyen essentiel d’existence économique et social. On existe par le travail parce qu’il est source de revenus, qu’il permet par ce revenu l’accès à la société de consommation, parce que le travail structure le temps. Le temps libre est en opposition avec le temps travaillé, les vacances, le repos avec le travail, la retraite est la récompense d’une vie de travail.
Le travail dans notre système de sécurité sociale donne des droits. Travailler c’est aussi cotiser et donc asseoir ses droits à la santé, aux allocations de chômage ou de vieillesse. Le travail c’est appartenir à une communauté : l’entreprise, l’usine, le bureau sont la source d’un lien social qui peut être lien hiérarchique ou lien d’amitié. C’est souvent au travail que se fait la prise de conscience d’appartenir à une classe et l’origine des revendications. Le travail est un signe fort d’appartenance à la société, donc un moyen d’intégration et de cohésion sociale.
Le développement de l’emploi atypique ou précaire fragilise la relation entre intégration et travail. Les salariés en intérim, en contrats à durée déterminée, les non-titulaires du secteur public, les indépendants travaillant peu, les salariés à temps partiel subi alternent souvent des périodes de chômage et des périodes courtes de travail et n’ont plus le sentiment d’intégration lié à ce travail. Leur temps dans l’entreprise est trop court pour s’impliquer, créer du lien social, s’inscrire dans une relation de revendications ; la durée joue un élément négatif. Ces salariés « de passage » n’ont plus ni le sentiment d’appartenir à une communauté ni d’être utile dans la société qui ne les emploie que lorsqu’elle en a besoin.
Ce manque de reconnaissance sociale est également ressenti chez les salariés qui sont déqualifiés par le progrès technique, remplacés par la machine et dont le métier n’est plus reconnu aujourd’hui. Il l’est tout autant chez les jeunes qui ne parviennent pas à trouver leur premier emploi (difficultés d’insertion dans le monde du travail) ou chez les plus de cinquante ans envoyés en préretraite avec un fort sentiment d’inutilité, au nom de la productivité et du renouvellement de la pyramide des âges. La flexibilité de l’emploi nécessaire à la compétitivité des entreprises provoque donc l’exclusion temporaire ou définitive d’une fraction de la population active pour qui travail ne rime plus avec intégration.
La division du travail est de plus en plus poussée, le travail atomisé et individualisé, l’homme se sent seul et la solidarité entre les salariés s’estompe (par exemple dans le télétravail).
Si l’emploi devient, dans la société post-industrielle du XXIe siècle, rare et réservé à des spécialistes hautement qualifiés qui par leur production permettront de satisfaire l’ensemble des besoins de la population, il sera possible d’obtenir un revenu sans participer à l’activité économique, les richesses étant partagées entre actifs et inactifs. L’équilibre actuel sera inversé : les besoins satisfaits, la production abondante, mais le travail s’étant raréfié deviendra un besoin.
Le travail ne se limite pas à l’apport de revenu. Il est source d’intégration et même si la participation à la vie politique, à la vie citoyenne, aux associations, même si les loisirs, le sport, la musique donnent à l’individu le sentiment d’exister socialement et une reconnaissance, il ne semble pas que ces occupations soient suffisamment intégratrices pour remplacer le travail sauf pour une minorité d’individus.
On peut définir l’exclusion par l’absence de lien social d’un individu ou d’un groupe (on parle de groupes d’exclus) avec la société à cause de leur pauvreté. L’exclusion se définit donc par un certains nombre de « moins » par rapport à la norme en vigueur dans notre société. Le terme d’exclusion désigne des situations variées mais qui ont toutes en commun de désigner une minorité rejetée.
Les exclus sont globalement victimes de la « fracture sociale », victimes de la crise économique qui crée moins d’emplois qu’autrefois, de la mondialisation qui supprime les emplois des salariés les moins qualifiés, du progrès technique qui rend certains métiers obsolètes et déclasse ceux qui ne peuvent pas le suivre, des transformations de l’emploi liées à la flexibilité. Ils perdent ainsi leur employabilité. Il faut y ajouter les victimes de la fragilisation du lien familial (augmentation des situations de séparations, de divorces), de la démocratisation de l’enseignement qui envoie 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat mais rend pour les 20 % restant l’accès à l’emploi plus difficile. Ce sont aussi les victimes du phénomène d’urbanisation rapide qui a créé dans les années 70 des concentrations de pauvres dans les « grands ensembles » des quartiers de banlieue dits aujourd’hui « sensibles », dans un habitat collectif n’ayant que peu de services et un accès difficile au centre ville. Les exclus vivent donc cantonnés dans des quartiers « ghetto », les enfants sont scolarisés dans des établissements classés en ZEP (zone d’éducation prioritaire) qui visent à lutter contre l’échec scolaire, stigmates qui représentent un handicap pour trouver un emploi. D’où la reproduction de la pauvreté.
La pauvreté peut avoir deux origines :