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Le rôle des conflits dans le changement social

Définitions utiles

  • Approche holiste : analyse considérant que la société est un tout dont on doit chercher à comprendre le fonctionnement global. Dans cette conception, on ne peut comprendre les actes des individus et des groupes sociaux qu’en les replaçant dans leur environnement.
  • Approche interactionniste (individualisme méthodologique) : démarche d’analyse qui fonde l’explication des phénomènes sociaux sur le décryptage des comportements et les interactions des individus.
  • Classe sociale : groupe d’individus de grande dimension qui a une certaine homogénéité dans ses conditions de travail, ses conditions de vie matérielles, son style de vie ainsi que ses opinions et croyances.
  • Fait social : objet d’étude du sociologue que Durkheim définit dans Les Règles de la méthode sociologique comme : « des manières d’agir, de penser et de sentir, extérieures à l’individu, et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s’imposent à lui ».
  • Groupe de pression (ou lobby) : regroupement d’individus et/ou d’organisations défendant un intérêt particulier et s’organisant pour influencer les décisions des pouvoirs publics en leur faveur.
  • Mouvement ouvrier : ensemble d’organisations syndicales et politiques parlant au nom de la classe ouvrière, développant une idéologie correspondant à des valeurs spécifiques et menant des actions collectives.
  • Syndicats (de salariés) : organisations visant à représenter et défendre les intérêts collectifs des membres d’une profession dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ils agissent notamment pour la reconnaissance et le respect des droits professionnels, économiques et sociaux.

Auteur

Karl Marx (1818-1883)

Karl Marx (1818-1883), sociologue pour qui les conflits permettent le progrès social, est aussi économiste, historien, philosophe et militant politique. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont plusieurs en collaboration avec Friedrich Engels parmi lesquels Le Manifeste du Parti communiste (1848) et Le Capital (1867). Il est le fondateur du courant dit du « socialisme scientifique ».

Les conflits sociaux sont liés aux changements et révèlent ce qu’est une société. Si les conflits contribuent à modifier les sociétés, inversement les changements sociaux modifient la nature et les acteurs des conflits sociaux.

Les sociologues divergent sur la nature et la place à accorder aux conflits qui agitent les sociétés. Le rôle des conflits dans le changement social dépend largement de la façon dont la société gère ses conflits. La société industrielle a été marquée par des conflits de classes nombreux et violents centrés sur la production, le travail et l’ordre social. Ils ont peu à peu été pacifiés et encadrés sans pour autant disparaître. Depuis les années 60, émergent de nouveaux conflits entre de nouveaux acteurs qui marquent le passage à des sociétés postindustrielles même si les conflits du travail surgissent encore.

1. Le statut des conflits et leur place dans le changement social

A. Qu’entend-on par conflit social ?

Un conflit social est un affrontement entre acteurs sociaux ayant des différences d’intérêts, d’opinions ou d’idéologie. Un conflit est latent quand il couve. Quand il a éclaté, le conflit devient ouvert. Il peut être verbal (polémique dans les médias ou au Parlement), matérialisé (grève, manifestation), physique (affrontements), guerrier (guerre civile).

Les conflits sociaux sont divers : conflits du travail, de génération, ethniques, religieux, politiques… Les classes sociales entretiennent des conflits qui portent soit sur la société en général (organisation économique ou politique, stratégie de développement), soit sur un aspect particulier (conditions de travail, répartition de la valeur ajoutée), on parle alors de conflits du travail. L’analyse en termes de classes n’est pas pratiquée par tous les sociologues.

B. L’interprétation des conflits divise les sociologues

L’observation montre que les conflits sont inhérents à la vie en société. Les études sociologiques le confirment et montrent que le conflit est un fait social au sens d’Émile Durkheim. Si ce constat fait à peu près l’unanimité des sociologues, ce n’est pas le cas de son interprétation.

Une approche holiste étudie ce que les conflits révèlent du fonctionnement de la société, s’interroge sur les moyens de les pacifier, les résoudre, voire leur reconnaître une place dans la société. Une approche interactionniste cherche comment les stratégies individuelles ou de groupes expliquent les conflits, analyse les buts des protagonistes, mesure ce que leur coûtent les conflits et les avantages qu’ils espèrent en retirer, réfléchit à leurs issues possibles ou souhaitables.

C. Le conflit est-il un moteur du changement social ?

Les conflits (ouverts) constituent-ils des aspects du fonctionnement normal d’une société manifestant et exprimant les différences entre individus et groupes ou sont-ils des événements pathologiques révélant son dysfonctionnement ? À partir de cette question, il y a différentes façons de relier conflit et changement social :

  • soit on considère la société comme un ensemble habituellement harmonieux dans lequel les conflits qui peuvent intervenir doivent être réglés pour garantir la cohésion sociale et rétablir l’équilibre momentanément mis en cause. Cette approche centrée sur un objectif d’intégration sociale voit le conflit comme un dysfonctionnement montrant une panne des mécanismes intégrateurs qu’il faut réparer
  • soit on analyse la société comme un lieu de domination et de contradictions entre groupes sociaux (ou classes) créant des conflits latents qui éclatent régulièrement. Tant que la classe dominante parvient à imposer son ordre, les conflits peuvent être ponctuellement résolus par des compromis entre classes opposées. Ils ne le sont vraiment que quand la classe dominée renverse la classe dominante et impose une nouvelle société. Dans cette approche centrée sur les contradictions, le conflit qui prouve le mauvais état de la société est aussi le moyen d’en changer, il est donc salutaire
  • soit encore, on estime que la société est une collection d’individus dont les interactions font l’ordre social, établissent et modifient les règles. Les conflits sont alors analysés comme des moyens d’apprentissage et d’interprétation des valeurs et des normes sociales. Des groupes déviants peuvent entrer en conflit avec les autres groupes, ou la société. Ils finissent en général par s’adapter, mais en même temps ils contribuent à un changement social progressif

Autre débat : doit-on laisser les conflits éclater pour se résoudre ou faut-il empêcher leur émergence ? Dans le premier cas, on recherche une institutionnalisation des conflits, c’est-à-dire l’édiction de normes, d’instances chargées de les gérer et les résoudre. Ainsi, l’encadrement des grèves (limitation des motifs, préavis, rôle donné aux syndicats…) est une modalité d’institutionnalisation des conflits du travail. La démocratie représentative, la liberté de la presse, le droit de manifestation et de pétition institutionnalisent les conflits politiques. L’autre conception cherche à nier et interdire les conflits, à les empêcher d’émerger en imposant un ordre moral, religieux ou politique plus ou moins totalitaire.

Institutionnaliser les conflits permet-il de les résoudre et de faire évoluer pacifiquement les sociétés (adaptation, réformes) ? Empêcher les conflits (en masquant leur réalité) ne crée-t-il pas des « sociétés bloquées » où explosent finalement des conflits beaucoup plus graves ? L’exemple de l’ex-Yougoslavie (parmi d’autres) où les conflits étaient niés au nom de l’idéologie et contenus par la répression montre le poids de conflits latents, comme les conflits ethniques. Mais le conflit permanent, risque des démocraties et des sociétés individualistes, ne conduit-il pas aussi à bloquer les sociétés ?

2. Les conflits dans la société industrielle

A. La place centrale de l’économie et du travail dans les conflits

À partir de la première révolution industrielle, les conflits s’articulent autour de la croissance économique et du travail qui deviennent essentiels, la société des pays industriels s’organise autour de l’économie. La recherche de croissance extensive qui passe par une concentration de la production et une massification du salariat implique une urbanisation croissante qui modifie la vie sociale, notamment les structures familiales et les liens sociaux. Le travail devient une valeur centrale. L’économie politique théorise cette valorisation du travail à partir d’Adam Smith et de la théorie de la valeur-travail reprise par tous les classiques et par Marx dont la doctrine sacralise la lutte des classes.

Les salariés, surtout ouvriers au XIXe siècle, fédèrent leurs revendications et s’organisent. C’est la naissance d’un « mouvement ouvrier » portant les valeurs de la classe ouvrière et menant des conflits. Ils concernent les conditions de travail (durée, sécurité, protection contre les risques…), sur les salaires mais aussi sur les droits et libertés individuelles et collectives (droit de grève, droit syndical, droit de réunion), ce qui les amène à un élargissement aux questions globales : organisation de la société, régime politique, système économique. La lutte des classes est au cœur d’une société industrielle très conflictuelle.

Les syndicats, une fois reconnus (en 1884 et, pour la fonction publique, 1924, en France) organisent la mobilisation sur des revendications professionnelles et pour des changements sociaux. Le mouvement ouvrier a aussi une expression politique à travers les partis sociaux-démocrates (le parti travailliste anglais – Labour Party – est organiquement relié aux syndicats, les Trade Unions). La Révolution russe de 1917 a une importance capitale puisque d’une part un parti « ouvrier » arrive pour la première fois au pouvoir et que d’autre part elle entraîne une scission durable de ce mouvement ouvrier entre sociaux-démocrates et communistes.

B. Une institutionnalisation différente selon les sociétés

Les conflits sociaux centrés autour de la lutte des classes qui ont joué un rôle essentiel pendant le XIXe siècle et les trois premiers quarts du XXe ont été plus ou moins violents selon les pays et les époques avant d’être peu à peu institutionnalisés. Par exemple, le 1er Mai devient à partir de 1890 une journée de mobilisation des travailleurs (avant d’être plus tard « la fête du travail ») pour la journée de 8 heures. Cette journée organisée à l’appel du congrès socialiste international prend la forme de grèves et de manifestations souvent interdites et donnant lieu à des affrontements violents comme à Fourmies (Nord de la France) où en 1891 l’armée tire sur les manifestants, faisant neuf morts dont un enfant.

De ce point de vue, le XIXe siècle est globalement plus violent que le XXe, même si celui-ci connaît encore des conflits sociaux brutaux (par exemple, la grève des mineurs du Nord de la France en 1963 est encore marquée par des heurts violents et des morts). Le degré de violence varie aussi en fonction des pays, de leurs réalités historiques et sociétales.

L’évolution historique a permis une pacification : le droit du travail organise des règles protectrices ; le droit social légalise la grève et les syndicats ; le patronat et les syndicats prennent l’habitude de négocier (et même de cogérer dans certains pays) ; après 1945, l’État-providence généralise la protection sociale et met en place un partage de la valeur ajoutée réduisant les écarts de richesse. Cela ne signifie ni la disparition des oppositions d’intérêts, ni l’extinction des conflits mais un certain consensus social existe durant les trente glorieuses cependant qu’apparaissent de nouveaux conflits menés par de nouveaux acteurs manifestant l’émergence d’une « société postindustrielle » centrée autour d’autres enjeux.

3. Les conflits dans la société contemporaine

A. De nouveaux conflits et de nouveaux acteurs

À partir des années 1960, les pays développés connaissent de nouveaux types de mouvements sociaux qui ne tournent plus directement autour des conditions de travail et de la production.

Des conflits de génération opposent les enfants du baby-boom à leurs aînés. Nés dans des sociétés connaissant une certaine abondance de biens matériels, les « jeunes » s’opposent à l’ordre social sur différents thèmes. Ils contestent les valeurs culturelles dominantes à propos des vêtements, de la coupe de cheveux ou des goûts musicaux (le rock and roll puis la pop music cristallisent diverses controverses), ou la morale (notamment sexuelle), les modèles de vie familiale, la répartition des rôles masculins et féminins. Ces conflits débouchent parfois sur le terrain politique à travers le pacifisme (contestation internationale de la guerre menée par les États-Unis au Vietnam). Ils révèlent les doutes sur le bien-fondé de la société de consommation et de la logique productiviste sans accepter plus le modèle soviétique. L’année 1968 symbolise ce conflit intergénérationnel avec des crises aux États-Unis, en France (mai-juin 68 où la lutte de classes traditionnelle est aussi présente), en Allemagne fédérale ou en Italie, et même une contagion internationale dans des sociétés très différentes telles que le Mexique, la Pologne ou la Tchécoslovaquie. Si la crise économique du milieu des années 70 prend le pas sur ces mouvements spectaculaires, ceux-ci ont produit des changements sociaux finalement assez significatifs.

Des revendications socio-culturelles alimentent d’autres conflits sociaux. Renouant avec les « suffragettes » qui revendiquaient le droit de vote pour les femmes, les mouvements féministes exigent l’égalité des droits (égalité des salaires, partage des responsabilités familiales et des tâches domestiques) et y ajoutent la quête de droits spécifiques, notamment la contraception et l’interruption volontaire de grossesse.

De nouvelles revendications sociales et politiques illustrent le changement de société en gestation aujourd’hui : on oppose la sécurité à la croissance (face à l’énergie nucléaire par exemple), le bien-être à l’économie (« travailler moins pour vivre mieux »), le partage à la satisfaction de ses besoins (mouvements de solidarité avec les pays pauvres). La montée du mouvement écologiste est une manifestation de cette évolution qui dépasse souvent les anciens acteurs sociaux (partis politiques traditionnels ou syndicats).

Malgré la crise de l’emploi qui renvoie aux anciens conflits sociaux, les structures traditionnelles qui ne s’adaptent pas continuent à perdre leur influence. C’est le cas des syndicats français : perte d’audience et chute d’effectifs (moins de 10 % des salariés français sont aujourd’hui syndiqués), mouvements donnant naissance à des coordinations spontanées (de grévistes ou de chômeurs) qui jouent ponctuellement le rôle traditionnellement assigné aux syndicats. Cette évolution pose le problème de l’absence de corps intermédiaires et de groupes de pression face à des mécanismes de ségrégation et d’exclusion et non plus à des formes de relation sociale (ou d’exploitation) unifiantes.

B. Quelle régulation sociale pour la société postindustrielle ?

La société postindustrielle connaît un double mouvement : une moyennisation entamée durant les trente glorieuses conduisant à la constitution d’une vaste « classe moyenne » rassemblant des groupes sociaux aux revenus, aux niveaux de vie et aux modes de vie assez uniformisés, et une montée de l’exclusion largement due à la crise de l’emploi se traduisant par des ruptures du lien social (les sans-emploi, les sans domicile fixe, les sans-papier…). Ces deux mouvements contradictoires et concomitants brisent les anciens repères (de classes par exemple) et déstructurent la société.

La régulation sociale, c’est-à-dire l’ensemble des moyens par lesquels une société fait respecter ses valeurs et ses normes, est mise en cause par cette « fracture sociale ». L’action collective a nourri les conflits sociaux de la société industrielle et contribué à fonder des repères identitaires, une culture commune génératrice de liens sociaux. La « culture ouvrière » bien que formant une contre-culture facilitait l’intégration à la société à laquelle on se rattachait, même si c’était en affirmant la volonté de la remplacer. La crise du lien social montre paradoxalement l’utilité des conflits pour la société.

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